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Au boulot ! Sorties d’usine

Arbeiter verlassen die Fabrik - fiction © Harun Farocki
« Le travail, c’est la santé ! » Pourtant, le mot a pour origine le latin trepalium, qui désigne un instrument de torture. Doit-on forcément travailler dans la douleur ? LaScam, ARTE, le CNC et La Fémis ont organisé le jeudi 27 mars 2025 une journée de rencontres sur le cinéma documentaire intitulée « Comment filmer le travail ? ». Passons en revue quelques approches formelles inventives autour de ce vaste sujet de société. Première partie : vers une disparition de la classe ouvrière ?

Que vont devenir les travailleur·euses des usines en Occident ? Revenons déjà à leurs représentations au cinéma, au siècle dernier. Dans Les Temps modernes, Charlie Chaplin se mettait en scène comme une simple pièce dans l’engrenage d’une immense machine industrielle ; Fritz Lang mettait en scène le remplacement des travailleur·euses de Métropolis par des robots : fut-il plus visionnaire ? En dehors de ces représentations symboliques de la déshumanisation au travail, le cinéma documentaire, des frères Lumière à Frederick Wiseman, en passant par les groupes Medvedkine, s’est attaché à montrer les usines et à restituer leur ambiance, cadence et vacarme. Certain·es cinéastes ont encouragé la mise en mots des ressentis ou des souffrances : températures terribles, charges lourdes, corps abîmés par les gestes mille fois répétés. Et quelques cinéastes se sont encore fait·es porteur·euses de voix des luttes ouvrières, témoignant des revendications et des actions collectives, notamment de la mise en arrêt de la production.

Aujourd’hui, ce rapport de force s’est inversé. Menacées de fermeture, pratiquant le recours à une main-d’œuvre externalisée pour diminuer les coûts de la production, et briser au passage les élans de solidarité possibles entre salarié·es, les usines sont plus que jamais soumises aux logiques de l’économie mondiale de marché. Elles peuvent être revendues ou délocalisées par leurs actionnaires ou dirigeant·es, même lorsqu’elles sont rentables, au mépris des ouvrier·ères et de la paix sociale. Ce qui faisait la force de la classe ouvrière, c’était le collectif. Désormais, l’isolement devient la norme, le taux de syndicalisation diminue pour atteindre 8 % dans le secteur privé et cela laisse redouter le pire pour l’avenir des travailleur·euses d’une classe sociale autant en voie de démantèlement que les usines.

Retour à Reims [Fragments] : la transformation politique de la classe ouvrière

Voyageant à travers le texte du sociologue et philosophe Didier Eribon, Retour à Reims [Fragments] retrace, à partir d’archives audiovisuelles, une histoire à la fois intime et politique du monde ouvrier français, de l’Après-guerre à la crise des Gilets jaunes. Le film met en lumière la dignité de la classe ouvrière, la solidarité des travailleur·euses, mais également les mécaniques de rejet de l’autre de cette classe sociale et la manière dont sa paupérisation récente a été récupérée politiquement.

On va tout péter ! : défendre son usine ou… la faire sauter, récit d’un rapport de force

Le réalisateur américain Lech Kowalski part à la rencontre des ouvrier·ères de l’usine GM&S, à La Souterraine, dans la Creuse. Cette entreprise spécialisée dans la sous-traitance automobile est menacée de fermeture. Que la lutte commence ! Kowalski capte la transformation des ouvriers en militants, documente l’apprentissage de l’action collective et enregistre les négociations avec dirigeant·es et politiques.

Voir aussi : Quand les femmes ont pris la colère, de Soazig Chappedelaine et René Vautier

Des bobines et des hommes : ouvrier·ères sur le fil

Au cœur de l'été 2014, Olivier Lousteau tourne la comédie romantique La Fille du patron à l'usine textile Bel Maille de Riorges (Loire). Les ouvriers se prêtent de bonne grâce au jeu de la figuration. Ils apprennent au même moment que leur entreprise a été mise en redressement judiciaire. Récit poétique et coloré d’une fermeture d’usine.

La Sortie d’usine : la figure ouvrière au cinéma par Harun Farocki

À partir de l’un des tous premiers films de l'histoire du cinéma, La Sortie des usines Lumière, Harun Farocki a rassemblé des séquences de sorties d'usine issues des films d'archives ou des films de fiction allemands et américains. Le cinéaste et théoricien du cinéma allemand donne de la grandeur à ces visages, ces histoires, dans un commentaire d'historien de l’art alternant entre le philosophique et le politique. Farocki s’interroge sur le fait que les histoires de cinéma ne commencent qu’à la porte des usines, rendant l’intérieur invisible aux regards. Il questionne le rapport ambigu de la société avec la représentation du travail, en posant une réflexion sur cet interdit, cet angle mort qu’est la souffrance au travail.

Lire le second article sur la journée « Filmer le travail » : Au boulot ! Travailler au XXIe siècle

En savoir plus

Voir la sélection Les yeux doc Du monde ouvrier, du collectif
Lire Comment filmer le travail ? Les Observatoires documentaires de Périphérie sur Balises, le magazine de la Bpi.
Découvrez le septième volet de la série de rencontres « Le Documentaire : matière à penser », organisé par LaScam, ARTE, le CNC et La Fémis sur la chaîne YouTube de LaScam.