les yeux doc

Du monde ouvrier, du collectif

Charbons ardents
Des premiers films des frères Lumière aux documentaires récents, de Zola à Ponthus, le cinéma et la littérature se sont souvent nourris du monde ouvrier.

Sous les toits d’usine si reconnaissables, avec leur forme en dents de scie, battent encore le cœur des machines et des hommes. Tandis qu’en Asie l’industrie se déploie frénétiquement, ici c’est un monde qui décline peu à peu. Même si des poches de résistance subsistent, les signes de l’essor industriel des XIXe et XXe siècles se font de plus en plus rares. Réhabilité, détourné, abandonné ou détruit, le bâti de ce monde ouvrier rappelle pourtant à quel point notre histoire moderne y est liée. Nous vous proposons 4 films sur des parcours et des combats menés par des femmes et des hommes pour leur survie et celle de régions entières. Une matière bien vivante donc, terriblement humaine à la fois irriguée par les souffrances infligées et endurées et par la richesse du collectif. Un monde qui résiste, œuvre et construit en partie notre socle commun.

Avril 50, de Bénédicte Pagnot

Avant de se lancer dans l’écriture d’un de ses livres phare, Les Ignorants, et après avoir déjà publié une dizaine d’albums, Etienne Davodeau accepte, à titre exceptionnel, de dessiner d’après le scénario de Kriss l’histoire d’Edouard Mazé, syndicaliste tué lors d’une manifestation à Brest en 1950. Le film revient sur la genèse de cet album intitulé Un Homme est mort, et s’attaque à des thèmes puissants : lutte sociale, militantisme, solidarité, en réalisant le portrait d’une ville, Brest, en pleine reconstruction après la guerre. Au-delà du sujet, le film dévoile aussi les coulisses d’un projet éditorial.

Charbons ardents, de Jean-Michel Carré

En avril 1994, après avoir lutté contre le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher, les mineurs de « Tower Colliery », au Pays de Galles, votent sa fermeture comme beaucoup d'autres. Le 3 janvier 1995, ils reprennent finalement le chemin de la mine après avoir racheté leur outil de travail. C’est cette aventure hors du commun qu’explore Jean-Michel Carré. Le réalisateur, qui ne cesse de questionner la liberté et l’émancipation à travers ses nombreux films, passe une année aux côtés de ces gueules noires. Cette initiative de reprise, inédite à l’époque, montre à la fois la façon dont on passe d’employé à entrepreneur, les répercussions, les contradictions, les différents niveaux d'investissement de chacun, les rôles qui se répètent… Une aventure à découvrir aussi sur papier puisqu’en 1999 Jean-Michel Carré publiait aux éditions du Serpent à Plumes Charbons ardents : construction d'une utopie.

Kombinat, de Gabriel Tejedor

MMK, le sigle se pose partout comme dans ces cités futuristes qui semblent flotter en dehors des époques. La caméra du réalisateur suisse vient saisir la vie qui s’écoule dans ce combinat métallurgique de Magnitogorsk au cœur de la Russie. Les différentes générations se succèdent et confrontent leurs visions d’un monde en mutation. Partir ? Rester ? Ce sont tous ces mouvements et ces questionnements qui s’entrecroisent dans des moments simples et parfois charnières. Le film s’ouvre sur un cœur de feu battant dans un corps métallique et poursuit son exploration par d’autres corps, de ceux qui subissent les rejets toxiques de l’usine à ceux qui dansent : une imbrication d’existences scellés par un destin commun.

On va tout péter, de Lech Kowalski

Le réalisateur part à la rencontre des GM&S à La Souterraine dans la Creuse sans savoir alors jusqu’où ira cette aventure. L’usine va fermer, les ouvriers résistent comme ils peuvent avec force et ténacité. Une lutte s’engage. Le film suit ce combat. La façon dont Lech Kowalski s’empare du sujet révèle un véritable engagement qui se retrouve dans son parcours et celui de sa maison de production Revolt Cinema. Plusieurs projets éditoriaux s'intéressent également aux GM&S sans doute parce que derrière la menace de faire sauter l’usine, il y a des travailleurs méprisés depuis des années avec à la clef de nombreuses reprises et de terribles échecs laissant chaque fois des gens sur le carreau. Une aventure cinématographique qui mènera, en mai 2019, toute l’équipe du film et les ouvriers jusqu’aux marches de Cannes.