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Quand les femmes ont pris la colère © UPCB

Quand les femmes ont pris la colère

Couëron, Loire-Atlantique, une usine métallurgique dépendant du groupe Pechiney-Ugine Kuhlmann. Pour marquer leur solidarité avec leurs maris en grève, quelques femmes d’ouvriers de l’usine Tréfimétaux envahissent le bureau du directeur et obtiennent en deux heures ce qu'on leur refusait depuis des mois. Mais la direction porte plainte. Douze d'entre elles sont inculpées et leurs vies basculent.

La coopérative de production UPCB (Unité de Production Cinéma Bretagne) a été créée en 1969 par René Vautier ainsi que Félix et Nicole Le Garrec pour exprimer le point de vue des “colonisés de l’intérieur”. Sa mission est de faire du “cinéma d’intervention sociale”, un cinéma engagé qui doit “faire pénétrer le cinéma militant dans les structures de diffusion commerciales” : “Nous sommes un haut-parleur; un instrument technique pour que la base puisse s’exprimer dans ses luttes.” Ainsi, quand des ouvriers de Saint-Nazaire préviennent Vautier de la participation des femmes à la grève de Tréfimétaux, c’est tout naturellement qu’une équipe débarque à Couëron pour filmer. Vautier fait appel à sa compagne, Soazig Chappedelaine, pour la réalisation, qu’elle souhaite rapidement consacrer aux douze femmes inculpées pour séquestration.

Ces douze femmes en colère (est-ce un hommage au film de Sidney Lumet ?) vont raconter leur quotidien, l'éducation des enfants et les problèmes de couples inclus. Et de l’intime au collectif, Quand les femmes… inscrit la lutte féministe dans un combat d'ensemble pour une transformation de la société. Soazig Chappedelaine remet en question au préalable l’insistance de l’opérateur sur la photogénie de Marilène, l’une des douze femmes à la verve précise et aux yeux perçants. Soazig admettra ensuite que le caméraman a eu raison de suivre ses prises de parole car la rhétorique de Marilène éclaire avec une grande cohérence la subordination des ouvriers, et d’autant plus celle des femmes d’ouvriers, aux inégalités de classe qu’engendre le capitalisme. Des images sur les barbelés de l’usine s'ajoutent en contrepoint du discours de Marylene sur les violences conjugales et sa rage de ne jamais voir les couples d’ouvriers dans le cinéma français, trop concentré sur la bourgeoisie.

Enfin, le film souligne les divergences de vue entre un syndicalisme encore très masculin, et un féminisme porté par des femmes encore minoritaires et peu considérées dans l’appareil syndical. Seules deux femmes parmi les inculpées sont encartées ou syndiquées. Au-delà du simple constat, raconter le double système d’oppression de la femme d’ouvrier (l’inégalité sociale et l’inégalité de genre) est une véritable prise de position en faveur des femmes, notamment pour un cinéaste inscrit au syndicat des techniciens du film de la CGT. Chappedelaine et Vautier proposent encore une vision nuancée de la lutte. 18 mois après les faits, le constat est parfois amer : rupture, divorce, chômage… Comme si les femmes en demandaient trop ou avançaient trop vite : “Les femmes poussent des portes et les hommes ont peur de rester coincés.”

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Plus d'infos sur cette lutte syndicale et féministe sur Openedition : « Quand les femmes ont pris la colère », Dominique Loiseau

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