Fidèle à sa méthode immersive, Nicolas Philibert montre dans ces deux films la psychiatrie institutionnelle en action. Au sein d’une clinique psychiatrique ou sur une péniche-hôpital de jour, des soignant.e.s et des patient.e.s sont mobilisé.e.s sur la réalisation d’un projet théâtral ou la mise en place d’activités culturelles. Là, au fil des répétitions d’Opérette de Gombrowicz à la clinique de Laborde en Sologne, là, sur l’Adamant, péniche amarrée Quai d’Austerlitz à Paris et balancée par les mouvements du fleuve.
Dans ces lieux, le soin n’est pas que médicamenteux mais il s’immisce dans chaque détail, dans chaque frémissement du quotidien. Le cheminement fait de difficultés sans cesse à surmonter, est aussi important que le but. S’investir dans une création théâtrale procède du corps et de la pensée. Venir à l’hôpital de jour, se déplacer vers un lieu de soins est également un mouvement. Les ateliers proposés, les invitations d’artistes, les réunions rituelles, les entretiens informels, tout concourt à faire émerger le désir, à éveiller un appétit pour la vie. Sachant que toute participation de patient.e.s est négociée par la parole, le soin vise à les aider à reprendre pied avec le temps et l’espace, à rétablir le lien avec les autres, à retrouver un élan vital. Face au manque de moyens dont souffre cruellement la psychiatrie publique en France, la Clinique de Laborde et l’Adamant font figure de lieux de résistance et d’humanisme.
Voir aussi : Valvert
« Une généalogie de la colère », tel est le titre de la trilogie que L. Bécue-Renard a consacré à l’héritage psychique de la guerre. La parole est le cœur vivant de De guerre lasses et Of Men and war. Fondement des thérapies à l’œuvre, elle permet la reconstruction de soi et celle des liens aux autres qu’il s’agisse de femmes dont l’univers s’est effondré pendant la Guerre de Bosnie (1992-1995) ou de jeunes soldats américains revenus d’Irak et d’Afghanistan atteints de syndromes post-traumatiques.
Grâce à deux thérapeutes d’exception, ces êtres entravé.e.s voire paralysé.e.s par leurs traumas vont cheminer pas à pas vers la vie, renaître par la parole. Frika, en Bosnie, est « un médium, une passeuse ». Fred, en Californie, est un vétéran de la guerre du Vietnam. Il aide les soldats à apprivoiser les traces qui mènent à l’émergence du ressouvenir et aux abîmes intérieurs. Dire la colère est le chemin du retour apaisé vers les proches (a pathway home) et la possibilité d’un quotidien acceptable. Les deux films renvoient aux guerres passées et présentes.
Voir aussi : Le Souffle du canon, Son Indochine
Depuis 20 ans, un débat public alimente la question des risques psychosociaux au travail. Après, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés (2005), Rêver sous le capitalisme (2017) est le deuxième film que Sophie Bruneau consacre à la souffrance au travail. Aux consultations filmées dans trois hôpitaux publics franciliens succèdent le recueil de rêves de personnes touchées par un malaise profond au travail. Dans les récits, dits en voix off, s’exprime la puissance poétique des songes.
Anthropologue, S. Bruneau, montre, grâce à l’articulation entre l’intime, la poésie et le politique, « un capitalisme mortifère », cannibale. Dans ce film-dispositif, reposant sur la dissociation de l’image et du son, elle a travaillé le montage et l’onirisme des sons. De longs plans d’espaces vides (bureaux, parkings, gare, open spaces…) accompagnent la parole de 12 rêveur.euse.s. Ces dernier.ère.s. sont en mesure d’interpréter leurs cauchemars et relier leur contenu au contexte professionnel qui les a provoqués.
Voir la conférence de la Bpi « Saint-Alban et la naissance de la psychothérapie institutionnelle »
Lire sur Balises le dossier « Psychiatrie, psychanalyse et malaise social »
La santé mentale au travail, site de l’OMS
La prévention des risques psychosociaux (RPS), site du Ministère du travail et de l’emploi