les yeux doc

Agnès Varda, toujours

Glaneurs et la glaneuse (la)@Ciné-Tamaris
Le 30 mars 2019, deux mois à peine après avoir présenté une rétrospective de ses films à la Cinémathèque française, Agnès Varda disparaît en laissant derrière elle plus qu’une œuvre : un monde. Ce parcours composé de cinq films est une porte d’entrée dans son travail profondément humaniste et vivant.

À 90 ans, dont plus de 60 années traversées par le cinéma, Agnès Varda partageait encore sa passion de l’image et du mouvement. Cette réalisatrice inclassable, faiseuse et inventrice d’un cinéma qui bouscule les codes, n’a cessé de composer un univers singulier. C’est d’abord la photographie qui fonde et continue d’habiter son œuvre. Dans les années 1950, elle s’installe dans des locaux rue Daguerre à Paris qu’elle transforme à la fois en lieu de vie et de création. Puis elle rencontre Jacques Demy, réalisateur du célèbre film Les Parapluies de Cherbourg (1964), avec lequel elle forme un couple jusqu’à sa mort en 1990. Elle alterne les longs métrages de fiction et les documentaires auxquels elle se consacre davantage encore dans les années 2000. Fascinée par la vie elle-même, la cinéaste vient souligner l’absurde en lui donnant du sens. Elle provoque des situations et embarque les spectateurs avec elle car chez Varda, tout est prétexte à la rencontre et à la poésie.

Salut les Cubains (1963)

À l’instar d’autres artistes de l’époque, Agnès Varda voyage à Cuba aux débuts des années 1960 et prend des milliers de photographies qui serviront à la construction de ce film. Le montage rythmé vient faire écho à la musique. Le film rend compte d’une certaine vision de Cuba après l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro. Au-delà de ce regard sur l’époque et de ces archives précieuses, l’intérêt de ce film est aussi de voir la photo prendre vie. Le regard d’Agnès Varda nous guide, zoomant ou s’arrêtant sur des détails. Sa voix et celle de Michel Piccoli viennent donner de l’ampleur au récit. Les personnages s’animent et font peu à peu émerger les multiples visages de Cuba avec ses différents apports culturels, la révolution et les femmes.

Réponse de femmes (1975)

Dans la lignée des courts métrages militants réalisés dans les années 1968 pour contester l’ordre établi, Agnès Varda signe ce ciné-tract et met en scène un texte sur les femmes avec des femmes. À l’heure de la dénonciation d’une société patriarcale, regarder ce film rappelle que le combat n’est pas récent et qu’il reste bien d’actualité. Notre corps notre sexe, qu’est-ce qu’être femme ? La question est donc loin d’être périmée. Et derrière les mots posés et scandés se cache un engagement. Agnès Varda propose ce film l’année de promulgation de la loi Veil alors qu’elle fut l’une des signataires du “Manifeste des 343” initié par Simone de Beauvoir appelant précisément à la dépénalisation de l’avortement.

Ulysse (1982)

Tout part d’une photo prise une vingtaine d'années plus tôt sur une plage. On y voit un homme nu de dos, une chèvre morte, un enfant. Ce dernier se prénomme Ulysse. La réalisatrice part de ce cliché pour évoquer des souvenirs et plus encore, le rôle de la photographie. Il reste toujours impressionnant de voir comment, à partir de presque rien, Varda parvient à nous emmener loin. Ainsi, des personnages, des histoires, des lieux, des parcours, émergent de ce film, de rebonds en rebonds.

Les Glaneurs et la glaneuse (2000)

Le film a beau dater des années 2000, il vient épouser notre époque. Si la pratique n’est pas récente, glaner et récupérer sont aujourd’hui devenus des habitudes pour un grand nombre de personnes. Le film, par le biais de rencontres avec une galerie de personnages, questionne à la fois le gaspillage alimentaire, la solidarité, le rapport à la nature ou à l’art. Jeter d’un côté, ramasser et redonner vie de l’autre, Agnès Varda sillonne la France et donne la parole à ces hommes et ces femmes souvent en marge. Elle se met en scène, joue avec son sujet donnant un élan savoureux à son film. Une phrase sur ces objets mis au rebut vient éclairer la pratique et sans doute aussi le regard aigu que porte Agnès Varda sur la vie : “pour les gens c’est un tas de saloperies, pour moi c’est une merveille, c’est un tas de possibles”. Les patates en forme de cœur qu’elle a pris soin de ramasser et de filmer rappellent que dans ses films, tout entre en résonance avec le regard qu’elle pose sur le monde.

Cinéastes au Centre (2015)

Il y a un grand plaisir à entendre Agnès Varda parler de son travail. Cet entretien a été réalisé en 2015 lors de l’exposition Salut les Cubains au Centre Pompidou. La femme aux cheveux bicolores parle de son rapport au cinéma et à la photo : “J’aime beaucoup cet aller-retour de la pensée et de l’oeil quand on regarde une photographie”. Un moment précieux.