les yeux doc

Salut les Cubains © Ciné-Tamaris

Salut les Cubains

En janvier 1963, soit quatre ans après la révolution qui a chassé le dictateur pro-américain Batista du pouvoir, Agnès Varda revient de Cuba avec 4000 photos en noir et blanc. Elle en retravaille certaines pour représenter la période révolutionnaire dans un film dont elle définit la ligne directrice : socialisme et cha-cha-cha !

Dans les années soixante, on pouvait croiser à La Havane de nombreux intellectuels français, dont Chris Marker, qui tourne Cuba si sur place dès 1961. Tandis que la crise entre Cuba et les États-Unis est à son paroxysme et que la perspective d’une troisième guerre mondiale se profile, Salut les Cubains témoigne de l’engouement politique et culturel des artistes français pour l'anti-impérialisme américain, l'idéalisme révolutionnaire et le socialisme. Invitée par l’ICAIC, l'Institut cubain de l’art et de l’industrie cinématographiques, Agnès Varda va rendre compte des suites de l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro.

Ce puzzle photographique et musical se présente comme une lettre adressée aux Cubains. Agnès Varda “salue” dans un même élan les rois du mambo, les femmes à la démarche chaloupée, les révolutionnaires barbus. Sa voix, souvent présente dans ses documentaires, répond à celle de l’acteur Michel Piccoli dans un commentaire dialogué agrémenté de différentes musiques locales et d’une partition composée par Michel Legrand, qui travaillait alors avec Jacques Demy sur la musique des Parapluies de Cherbourg. En montant ses clichés sur un banc-titre, à la manière des dessins animés, Varda parvient dans une forme très libre à restituer l’énergie et l’émulation présentes sur l’île. L'instantanéité de ses clichés, pris sur le vif, révèle l'acuité de son regard. Le moindre détail est souligné par le montage et le commentaire. Bien que fascinée par les trésors trouvés sur cette île en forme de cigare ou de crocodile, la réalisatrice a soigneusement évité de faire oeuvre de propagande. En documentariste curieuse de tout, elle est là pour voir, pour comprendre et transmettre, sans à priori. En témoigne son portrait de Fidel Castro, pris entre deux rochers, qui donne du lider maximo (un homme qu’elle décrit comme calme, beau et sympathique) l’image d’un révolutionnaire aux ailes de pierre. Plus que par la sphère politique, elle est impressionnée par l’atmosphère festive des rues, par la sensualité des corps et surtout par l’élan collectif spontané que suscite la révolution. Par sa ferveur et sa vitalité, une petite île des Antilles offrait soudain un contrepoint salutaire au désenchantement moderne occidental que l'on sentait poindre ici et là.

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