les yeux doc

Rencontres de la photographie d’Arles : sous la surface

Cristina De Middel. Une pierre sur le chemin [Una Piedra en el Camino], série Voyage au centre, 2021. Avec l’aimable autorisation de l’artiste/Magnum Photos.
Du 1er juillet au 29 septembre, les Rencontres de la photographie s’affichent dans divers espaces d’expositions de la “petite Rome des Gaules “ et d’autres villes des Bouches-du-Rhône (13). Pour l’édition 2024 “Sous la surface”, focus sur des films Les yeux doc abordant le thème de la photographie.

Le tirage choisi pour l’affiche de l’édition 2024 vient de l’exposition Voyage au centre de Cristina de Middel, photographe de l’Agence Magnum. L’image montre une femme mexicaine à demi-immergée dans l’eau turquoise d’un lac, deux branches d’arbres lui sortant de la tête comme les bois d’un cerf. À cheval entre vision fantastique et politique, cette affiche semble raconter qu’il se cache des éléments derrière les apparences, “sous la surface”. Elle va pointer du côté de l’onirisme, de la poésie et du surréalisme, tout en rappelant le concept de frontières et le retour potentiel d’un Donald Trump, fervent défenseur de la fermeture des frontières entre les États-Unis et le Mexique. L’image évoque les migrations de population, mais également, le changement en cours qu’il soit économique, politique ou climatique. Vers quel avenir tourner son regard et vers quelle terre de cocagne ? Les Rencontres reflètent en 2024 un état de conscience politique du monde, mais métaphorique.

Les sections thématiques des Rencontres exploitent toutes les possibilités du médium photographique. Dans “Remous”, le potentiel de la photographie se révèle pour capter les turbulences du réel. Rencontres électriques avec célébrités et marginaux chez Mary Ellen Mark ; capitalisme architectural surréaliste sur les toits du Pendjab chez Rajesh Vora ; simulations militaires américaines chez Debi Cornwall ; mouvements colorés du fleuve Mississippi chez Nicolas Floc’h. La section “Esprits (Yôkai)” s'intéresse à la résilience japonaise face aux catastrophes naturelles, militaires ou industrielles. Elle interroge plus largement le pouvoir de la photographie à conserver la mémoire du passé et représenter les réminiscences des fantômes et autres événements surnaturels. Enfin, les Rencontres célèbrent aussi la perspective de conserver des “Traces” de phénomènes invisibles ou immatériels : la décrépitude pour Sophie Calle, exposée aux Cryptoportiques, où elle propose de s’intéresser au phénomène de moisissure de ses tirages qui seront peu à peu rongés par les champignons dus à l’humidité ; ou l’absence, avec le travail de Ishiuchi Miyako, laquelle a photographié pour Belongings les objets possédés par sa mère à la suite de sa mort : bâton de rouge à lèvres ou vêtements deviennent l’ultime personnification d’une absente.
Découvrir la suite des expositions sur le site des Rencontres de la photographie.

Dans le viseur d’un photoreporter

Gilles Carron a traversé les grands conflits sociaux, politiques et militaires du XXe siècle, à l’épreuve des regards et des dangers en Irlande, au Tchad ou en Israël. Mariana Otero se plonge avec la fille du photographe dans son travail et s’étonne du nombre impressionnant de tirages à conserver sur chacune de ses planches-contacts. L’acuité du regard et du geste, la précision et le choix du cadre semblent toujours au rendez-vous dans l’activité du photoreporter, qui disparaîtra à seulement trente ans au Cambodge dans une zone contrôlée par les Khmers rouges, laissant derrière lui des centaines de clichés célèbres.

La photographie comme trace indélébile de l’irreprésentable

À l’image de la thématique “Esprits”, le film de Christophe Cognet met en scène le rôle mémoriel joué par le dispositif photographique. La rareté des représentations de l’intérieur des camps de concentration et d’extermination pendant la Shoah a alimenté de nombreuses polémiques, du négationnisme à la moralité de la figurabilité des camps au cinéma. Des photographies ont pourtant été prises depuis l’intérieur des camps de la mort par des déportés, au péril de leurs vies. Les rouleaux de pellicules et les lettres retrouvés sapent le travail d’effacement des preuves entrepris par les nazis et permettent d’observer d’autres témoignages matériels que ceux laissés par les bourreaux. Christophe Cognet expose les archives photographiques en transparence sur les paysages polonais actuels. Il convoque ainsi les fantômes du système concentrationnaire tout en soulignant l’importance de la résistance face à l’ignominie.

Ulysse : un instant figé du sensible

La facétieuse réalisatrice et photographe Agnès Varda part d’une photographie sur plaque de verre prise sur une plage en 1954 représentant un homme, un enfant et une chèvre pour mener une réflexion sur l’image et le temps. 28 ans après, elle inscrit cette image au sein d’un continuum de temps esthétique, politique et historique et raconte avec le talent inné de conteuse qu’on lui connaît, la place de l’image et des représentations, réelles ou imaginaires, dans notre mémoire, nos rêves et nos identités.