les yeux doc

Lumière sur 4 films sélectionnés à Cannes

© Les Films 13-Un homme-et-une-femme-Claude Lelouch-1966_Création-graphique © Hartland Villa
Des documentaires au Festival de Cannes ? Il y en a chaque année aux côtés des nombreuses fictions, et certains ont même reçu de prestigieuses récompenses. Lumière sur 4 documentaires sélectionnés à Cannes, alors que la 78e édition du festival se déroule du 13 au 24 mai 2025.
Toute une nuit sans savoir, de Payal Kapadia : Œil d’or (2021)

L., étudiante en cinéma dans une grande ville indienne, écrit à son fiancé. Dans un murmure amoureux, elle se remémore leurs moments partagés et lui raconte le présent. Tandis que sa voix résonne, des fragments d’images en noir et blanc donnent un aperçu d’une année bousculée par les grèves et les manifestations étudiantes, et par leur violente répression.

Comme une lanterne magique, Toute une nuit sans savoir déroule un récit fantasmagorique traversé de références cinématographiques, de mots d’amour et de désarroi politique. Mosaïque d’images noircies et de sons étouffés, comme un souvenir qu’on lutte pour ne pas oublier, le film souligne la nécessité de l’archive documentaire pour conserver la mémoire et écrire l’histoire.

Payal Kapadia a reçu le Grand Prix du Festival de Cannes 2024 pour la fiction All We Imagine as Light, et fait partie du jury de l’édition 2025.

Babi Yar. Contexte, de Sergueï Loznitsa : Séance spéciale, hors-compétition (2021)

Sergueï Loznitsa s’empare de la question de l’image manquante autour du massacre de Babi Yar où, les 29 et 30 septembre 1941, l’armée allemande aidée de la police ukrainienne exécute 33 771 Juif·ves dans un ravin. Aucun film n’existe, et le ravin a disparu. Loznitsa, en orfèvre des archives, explore donc le contexte de ce massacre : la conquête allemande, les persécutions et les destructions, puis le procès des responsables nazis.

Par un incroyable travail de montage et de sonorisation d’archives, le réalisateur restaure une mémoire enfouie et porte un œil critique sur l’écriture officielle de l’Histoire. Il active d’un même geste notre regard et notre écoute, afin que chacun·e chemine, dans le fracas des images et au fil de témoignages glaçants, jusqu’à une compréhension intime de l’Histoire.

Sergueï Loznitsa est un habitué du Festival de Cannes, où ses fictions sont régulièrement distinguées. Son film Deux procureurs est en compétition en 2025.

Makala, d’Emmanuel Gras : Grand Prix de la Semaine de la Critique (2017)

« Makala », c’est le charbon, que Kwabita fabrique dans la savane congolaise. Emmanuel Gras suit ses gestes répétitifs, puissants et précis, et montre la vie frugale qu’il mène avec sa famille. Puis, Kwabita part vendre son charbon en ville. Commence alors une route dangereuse sur un vélo surchargé, avant la vente au marché au fil des marchandages.

La grande beauté des images n’occulte ni la dureté de l’effort, ni la précarité du quotidien, ni la solitude de Kwabita. Elle inscrit au contraire son existence et celle de sa famille dans un territoire et met en relation leur vie avec le milieu, naturel et social, dans lequel iels évoluent. Tendu sur un fil narratif simple et linéaire, Makala raconte sans pathos, mais avec acuité, une vie faite de contraintes, d’obstacles et d’impuissance, dans laquelle les projets d’avenir se désagrègent en de simples prières.

Avant Makala, Emmanuel Gras avait déjà foulé le tapis rouge en 2011 lorsque Bovines, ou la vraie vie des vaches avait été sélectionné par l’ACID.

Les Glaneurs et la Glaneuse, d’Agnès Varda : Séance spéciale, hors-compétition (2000)

Agnès Varda, munie d’une petite caméra vidéo, part à la rencontre de celles et ceux qui glanent les pommes de terre hors calibre dans les champs, grapillent le raisin sur la vigne, biffent des objets aux encombrants, ou récupèrent les invendus dans les poubelles… tandis qu’elle-même butine des images.

La cinéaste espiègle parcourt la France pour raconter, à travers un montage enlevé, que l’on glane toujours par souci d’économie, souvent par besoin, parfois par goût de la trouvaille. Ainsi de ces artistes pour qui des instants saisis, des objets accumulés ou des matières recyclées constituent « un tas de possibles » propice à la création.

Dès son premier court métrage, Ô saisons Ô châteaux (1958), de nombreuses réalisations d’Agnès Varda sont sélectionnées à Cannes. La cinéaste participe à plusieurs jurys, reçoit une Palme d’or d’honneur en 2015 et est célébrée à titre posthume sur l’affiche du Festival en 2024.