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USA : petites villes et grandes blessures

Richland ©helki frantzen
Alors que Donald Trump est de retour à la Maison Blanche, retour en images – documentaires – sur le territoire américain. Quatre films récents explorent les confins d’un pays que l’on pense bien connaître. Frederick Wiseman, Irene Lusztig, Justine Harbonnier et Sébastien Lifshitz racontent chacun à leur manière une Amérique moins connue, celle des petites villes et des marges, à la fois fière et fragile, traversée par de profondes contradictions.
Des communautés figées : Monrovia, Indiana et Richland

Frederick Wiseman et Irene Lusztig s’attachent à des communautés rurales ou isolées où l'Amérique conserve une image figée de ses valeurs fondatrices : solidarité locale, traditions et patriotisme. Dans Monrovia, Indiana, Frederick Wiseman s’immerge dans cette petite ville rurale du Midwest américain, où la succession méthodique des scènes de la vie quotidienne dresse le portrait d’un monde paisible, mais figé. Filmant les assemblées citoyennes ou les conversations informelles, il observe une communauté soudée, certes, mais refermée sur elle-même, immobile voire indifférente aux transformations économiques et culturelles du pays. Monrovia, microcosme de l’Amérique profonde, conservatrice et méfiante, semble prise dans les glaces.

De son côté, Richland d’Irene Lusztig explore une autre forme de suspension : celle d'une ville hantée par son rôle dans la fabrication du plutonium pour la bombe nucléaire de Nagasaki. Ici, le passé glorieux du siècle dernier s’infiltre dans le présent à travers traditions, célébrations locales et une certaine exaltation patriotique. Irène Lusztig filme avec précision les discordances des discours, qui font coexister fierté locale et volonté d’affronter les responsabilités historiques liées aux armes nucléaires. Tandis que Monrovia affiche un immobilisme presque nostalgique, Richland se regarde toujours à la lumière d’un passé glorifié.

Des individus en chemin : Caiti Blues et Casa Susanna

En parallèle des portraits communautaires de Wiseman et Lusztig, Caiti Blues et Casa Susanna se concentrent sur des trajectoires individuelles incarnant également des formes américaines de marginalité.

Dans Caiti Blues, Justine Harbonnier suit Caiti, chanteuse de blues exilée dans une petite ville désertique du Nouveau-Mexique, auprès d’une communauté d’artistes marginaux. Loin de New York, où elle a échoué à percer, Caiti incarne une Amérique des oubliés, des rêveurs précaires qui luttent pour concilier aspirations et réalités. Justine Harbonnier filme le désenchantement de Caiti, du rêve d’enfant-star à la mélancolie de son blues intime et douloureux. La marginalité de Caiti n'est pas seulement géographique, elle est aussi émotionnelle, dans une quête permanente pour réconcilier son identité et ses échecs.

Casa Susanna de Sébastien Lifshitz, remonte quant à lui dans les années 1950 et 1960 pour raconter une autre lisière sociale : celle des personnes transgenres et travesties dans une époque où leur existence même était criminalisée. La villa Casa Susanna, refuge secret dans les Catskill Mountains, devient un joyeux sanctuaire où ces individus pouvaient se retrouver et vivre ensemble leur autre identité. À travers des photographies d’archives et des témoignages d’anciens résidents, Sébastien Lifshitz donne corps et voix à ces invisibilisés de l’histoire et célèbre leur combat. Contrairement à l’isolement choisi de Caiti, les résidents de la Casa Susanna n’ont d’autre choix que de se retirer dans l’ombre pour exister. Ce documentaire fait voir une Amérique qui préfère ignorer ce qui ne correspond pas à ses normes, tout en honorant la solidarité et la force de ces pionniers de la cause trans.

Pour aller plus loin, lire États-Unis : la fracture idéologique s’invite sur les campus et Deep state : l’obsession complotiste qui divise l’Amérique sur le magazine Balises.