Casa Susanna
Dans les années 1950-60, un petit coin de paradis des Catskills, dans l'État de New York, abrite le premier réseau clandestin de travestis. La maison de Susanna, alias féminin de Tito, et de sa femme Maria, est devenue un club privé dont les invitées sont de délicates femmes américaines. Que se jouait-il dans le cœur des hommes venus chercher un peu de paix et de joie à la Casa Susanna ?
Tout a commencé par un livre. L'antiquaire Robert Swope, en chinant sur un marché aux puces new-yorkais, découvre une boîte remplie de photographies. Sur ces Ektachromes – des clichés chatoyants d’une célèbre marque de pellicule – des hommes travestis en épouses modèles de la classe moyenne posent dans un cadre naturel idyllique et dans le salon cossu d’une maison. Un petit panneau de bois porte ces mots : Casa Susanna, seul indice concernant ce lieu. Le collectionneur publie ces images dans un livre (Casa Susanna, PowerHouse Books, 2005). Sébastien Lifshitz, amateur de photographies sur le travestissement, se procure cet ouvrage dans le cadre de ses recherches sur la transidentité. Avec Isabelle Bonnet, historienne de la photographie et autrice d’un mémoire sur la Casa Susanna, ils remontent le temps ensemble et interrogent les témoins de l'époque.
Dans les années 60, se travestir comportait de nombreux risques : arrestation pour racolage, dénonciation, et la possibilité de voir sa carrière et sa vie sociale s'effondrer. Cette pratique taboue se faisait alors en cachette, à la maison, loin des regards. Mais pas toujours. Les travestis de la Casa étaient souvent des hommes hétérosexuels, vivant une vie maritale des plus conformistes. Comme le révèle le film, certaines épouses connaissaient ce lieu et y étaient même invitées. La dimension supplémentaire apportée par le documentaire est le statut de la Casa Susanna en tant que l'un des premiers réseaux transgenres. C’est notamment à travers les témoignages de deux membres de cette communauté, Katherine Cummings (1935-2022) et Diana Merry-Shapiro (née en 1939) – anciennement John et David – que nous découvrons comment elles ont accepté leur transidentité et sont devenues des femmes au quotidien.
Cette histoire rappelle les mélodrames de Douglas Sirk : des familles désunies, des amours impossibles, des drames à la fois psychologiques et sociaux. Certaines personnes ont renoncé au travestissement, d'autres ont choisi de changer de sexe. Le spectre de la mort plane sur ces vies tourmentées, comme pour l'écrivain de science-fiction Donald Wollheim, le père de Betsy Wollheim, interviewée dans le film. Il semble qu’il n’ait jamais trouvé de joie ailleurs qu'à la Casa Susanna, où il pouvait porter les vêtements, les bijoux et le nom d'une femme. Jusqu’à souhaiter en devenir une ? Sa fille ne le saura probablement jamais, car il a emporté son secret avec lui.