les yeux doc

Les Films de Force Majeure

© Films de Force Majeure
Produire un film, c’est lui permettre d’exister. C’est précisément ce que s’acharne à accomplir avec talent et passion Jean-Laurent Csinidis et l’équipe de cette société de production installée à Marseille.

Comment sont nés les Films de Force Majeure ?

Initialement, je me destinais plutôt à la réalisation. Mais pour gagner ma vie, j’ai commencé à travailler chez Amour fou, une société basée en Autriche et au Luxembourg, qui avait la caractéristique de produire à peu près tout : de la vidéo d’artiste en passant par le documentaire jusqu’au long métrage de fiction, avec une forte orientation cinéma d’auteur international. J’ai pris le virus de la production dans ce cadre-là. Très vite, faire naître des projets m’a passionné. Il se trouve qu’avec de vieux amis, on avait l’envie commune d’essayer de se lancer dans l’aventure du cinéma. À ce moment-là, eux aussi étaient à l’étranger : au Royaume-Uni, en Autriche et en Espagne et nous avons décidé de revenir en France pour créer notre propre société. Au fil du temps, nous avons appris le métier, mais aussi à mieux nous connaître nous-mêmes. On a réalisé assez vite que notre point fort, c’était la production de documentaires de cinéma. C’est ce qui nous correspondait et nous passionnait le plus. Je précise “de cinéma” parce que le documentaire est multiforme et qu’il y a de belles choses partout. Ce n’est pas du tout un jugement de valeur, mais vraiment une question de tempérament, de sensibilité. Dans le documentaire de cinéma, que ce soit dans le système de financement, de production, de diffusion, et aussi dans la relation avec les réalisateur.trice.s il y avait quelque chose qui nous convenait parfaitement. C’est donc assez naturellement, au fil des ans, que nous nous sommes spécialisés d’une part dans le cinéma documentaire, et d’autre part dans la coproduction internationale. De ce fait, la plupart des films que nous produisons sont des documentaires de cinéma souvent réalisés par des auteur.trice.s étrangers ou des films en coproduction internationale. Je pense que les deux points qui nous ont vraiment menés là, c’est le fait que nous ayons toujours été portés par des thématiques contemporaines et que la notion d’engagement, dans les cinémas dits du réel, est très forte. Ce deuxième point concerne aussi la fiction, mais dans le documentaire, c’est beaucoup plus clair, plus concret et la relation qu’on peut avoir avec les auteur.trice.s est tout à fait différente. On y prend beaucoup plus de plaisir, tout simplement.

Dans « Une histoire de production » à Lussas vous aviez présenté le travail impressionnant réalisé sur « Game Girls », en termes de temps et d’argent. Est-ce éclairant sur le travail que vous menez au quotidien ?

Oui. Le seul aspect qui, je l’espère, restera exceptionnel, c’est la taille du risque qu’on a pris. Il est normal de prendre des risques quand on est producteur, surtout sur de tels projets dont le financement est de plus en plus aléatoire. Mais sur Game Girls, à notre échelle, le risque était vraiment démesuré. Le déficit a atteint 100 000 euros à un moment donné, cela aurait pu suffire à mettre la société en danger. La vérité, c’est que je ne l’ai pas fait volontairement. C’était mon premier long métrage en tant que producteur délégué et j’ai pris deux ou trois mauvaises décisions. Je n’ai pas géré de façon optimale les moments de doutes et de recherches de la réalisatrice, et on s’est vite retrouvés dans une situation dangereuse. Heureusement, on a réussi à limiter nos pertes et tout s’est bien terminé. En ce moment, nous travaillons sur trois films avec une approche un peu similaire à la façon dont nous avons pu travailler sur Game Girls.

En tant que producteur, vous êtes au coeur de l’économie du cinéma, est-ce qu’il est encore possible de fonctionner à l’instinct ?

Je pense que si nous n’avions plus la possibilité de suivre notre instinct de temps en temps, on ne pourrait plus faire ce travail. On ne pourrait plus produire ce genre de films, d’une très grande singularité, très marqués par la personnalité de l’auteur et dont le potentiel commercial est très limité. C’est pour ça que je crois beaucoup au fait de se spécialiser. Au final, mon “gut feeling” entre en jeu quand je me demande si je vais réussir à convaincre les financeurs de cinéma. Est-ce que le film est suffisamment porteur et est-ce que je peux être convaincant sur ce point ? Là, l’instinct joue aussi beaucoup. Pour schématiser, est-ce que  je pense que le film a une chance d’être dans un des grands festivals de l’année : Cannes, Berlin, Locarno, Venise ou Sundance ? Et la seule chose qu’on peut faire alors, c’est se fier à notre instinct, qui devient de plus en plus sûr avec l’expérience. Le plus important, c’est de connaître ses limites. Les miennes sont claires en termes de risques financiers et d’investissement, de gestion de la relation humaine et des blocages artistiques. J’essaie d’être très clair aussi avec mes collaborateurs à ce propos. Et une fois qu’on a fixé ses limites, il y a de la place pour être un peu joueur et faire des paris, parce que sinon il n’y a plus de cinéma.

Retrouvez la suite de l’entretien sur Bpi pro.