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Festival Cinéma du Réel 2022 - Entretien avec Catherine Bizern

Catherine Bizern ©Dao Bacon
Depuis l’automne 2018, Catherine Bizern est la déléguée générale et la directrice artistique du Festival Cinéma du Réel, le rendez-vous parisien et international du cinéma documentaire. Elle revient pour Les yeux doc sur l’édition 2022 du Festival.

Quels sont les grands axes de la programmation artistique de cette 44e édition ?

Il y a bien entendu les rendez-vous annuels qui reviennent à chaque édition du festival. La compétition est la raison d'être de celui-ci, ce pourquoi il rassemble du public depuis 44 ans à Paris et pour lequel il est reconnu par l’ensemble des professionnels à l’international. Elle est la véritable colonne vertébrale du festival. Deux autres rendez-vous réguliers existent depuis 2019, “Front(s) populaire(s)” et “Le festival parlé”. La programmation “Front(s) populaire(s)” s’axe autour de la dimension politique du cinéma documentaire. Ces soirées constituent le rendez-vous militant du festival et sont au plus près des questionnements des citoyens. Évidemment, depuis 2019, le festival a beaucoup abordé les soulèvements et les différents mouvements de revendications. Cette année, après la pandémie qui nous a privés d'espaces en commun, nous avons mis en place une programmation intitulée "espace de la lutte”, en partant du principe que de se montrer en public est une manière de revendiquer sa place dans le monde. Enfin, “Le festival parlé” est une journée de discussions consacrée à la question “Qu'est ce que le documentaire ?” élargie à d'autres arts que le cinéma (danse, théâtre..) et d’autres modes de pensées (historiens, architectes…). Cette année, nous avons interrogé le concept de vérité, car on confond souvent réalité et vérité et il arrive souvent qu’on assigne au documentaire l'obligation d'être vrai.

La proposition particulière de cette édition était “L’Afrique documentaire", un panorama sur le cinéma contemporain africain. Nous avons montré une trentaine de films de toute l’Afrique depuis le Maghreb jusqu'à l'Afrique du sud en passant par l'Egypte, l'Afrique centrale, l'Afrique francophone, lusophone et anglophone. Nous avons proposé à tous types d’acteurs du documentaire africain de venir au Festival afin de faire un retour sur leurs différentes pratiques ainsi que sur leur relation personnelle avec leurs histoires coloniales. Il y a eu un retour en arrière sur le cinéma africain des années 1970 portant son engagement sur les questions d'indépendance et de démocratie. L’Algérie était notamment un grand pôle du cinéma de guérilleros. En termes de films et de rencontres, le Panorama a été un très grand événement.

Pouvez-vous nous dire quelles séances vous ont le plus marquée pendant cette édition ?

C’est très compliqué de faire un choix car je n’ai pas pu assister à toutes les séances et beaucoup d'événements se déroulent en même temps. Je vais tout de même retenir plusieurs moments forts auxquels j’ai assisté. Tout d’abord, la programmation des trois films de Mathieu Amalric autour du travail de John Zorn. Organiser ces projections a été important pour Mathieu et pour moi. C’est la première fois que le Zorn I et le Zorn II étaient montrés ensemble. Mathieu a d’ailleurs terminé le Zorn III deux jours avant la projection. Cela faisait deux ans que nous en parlions, Mathieu demandait : “Mais Catherine, crois-tu que ce film intéresse d’autres personnes que des Zorniens ?” Et moi qui suis béotienne en Zorn, je lui répondais évidemment que oui ! C’était très émouvant de voir la réaction du public qui s’est précipité de la salle cinéma 2 jusqu’à la salle cinéma 1 pour enchaîner les deux séances. Barbara Hannigan a assisté à la discussion avec le réalisateur à la fin du film. Ils étaient tous les deux émus, c'était très beau. 

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Deux films primés par les bibliothécaires depuis votre arrivée sont disponibles sur la plateforme, Laissez brûler (primé en 2019) et Paysages résistants (primé en 2021), serait-il possible d’en dire quelques mots afin de donner envie à nos spectateurs ?

Ce que je trouve très beau, c’est que ce sont deux films extrêmement différents. Laissez brûler est en cinéma direct et accorde une grande place au présent. Le rapport aux personnages est immédiat. Il existe une tension du plan très forte qui permet aux protagonistes d’aller au-delà de leur propre représentation. Paysages résistants est beaucoup plus contemporain dans sa forme car il mélange un travail très formel sur les paysages avec le portrait d’une combattante à l’histoire incroyable mais il conserve aussi un lien avec le temps présent puisque la cinéaste Marta Popivoda est une activiste, à l’instar du personnage principal. Quand je pense à ces deux films, les protagonistes me reviennent immédiatement à l’esprit. Je vois les femmes sur le toit de l'hôtel Parque de Sao Paulo et cette vieille dame qui raconte son histoire dans son fauteuil. La puissance de la vie est transmise par la manière dont ces protagonistes sont captés par les cinéastes.