Autour de la prostitution se confrontent les valeurs de dignité, de liberté, de morale religieuse ou laïque, d’ordre social et d’impératifs sanitaires. Quatre films nous proposent de rencontrer des prostitué·e·s. Leurs paroles, libres, ouvrent une réflexion éloignée des tabous et des clichés.

La prostitution des deux sexes est attestée dans la Mésopotamie du IIIème millénaire avant J.-C., dans la Grèce du siècle de Périclès et dans la Rome antique. La prostitution masculine est longtemps restée un tabou. En Occident, le commerce monnayé des corps oscille entre prohibition, réglementation et abolition. Ces dernières décennies, des syndicats de prostitué·e·s adoptent le terme de travailleur·euse·s du sexe et considèrent leur activité comme une profession à part entière devant être soumise au droit du travail.

Un manifeste et une Déclaration des droits des travailleur·euse·s du sexe en Europe ont été élaborés lors de la Conférence européenne du travail sexuel, des Droits de l’Homme, du travail et de l’immigration, de 2005 à Bruxelles. Les États, quant à eux, entendent lutter contre le proxénétisme, la prostitution des mineurs et les réseaux mafieux de traite humaine et d’esclavage sexuel.

Portrait of Jason : un film pionnier

Portrait sans fard de la vie queer d’un prostitué gay afro-américain à une époque (1967) où le sujet était peu traité par le cinéma documentaire. Portrait of Jason est le montage d’une performance filmée douze heures durant, une nuit de décembre, dans une chambre du mythique Chelsea Hotel à New-York. Entre rire et alcool, omniprésents, dans une sorte de casting théâtral où se dilate sa personnalité, Jason Holliday (1924-1998) raconte sa vie entre contrôle et manipulation.
La prostitution est illégale sur la plus grande partie du territoire des États-Unis.

Grisélidis Réal : la « Catin révolutionnaire »

« GRISÉLIDIS RÉAL Écrivain-Peintre-Prostituée (1929-2005) » : telle est l’épitaphe de la femme dont ce film montre les multiples facettes. Grisélidis se prostitue sous l’impulsion d’un amant schizophrène et violent, d’abord par nécessité puis continue « pour faire la révolution avec les prostitué·e·s ». Elle exerce son métier dans le quartier des Pâquis à Genève pendant trente ans. Une pause de sept années et l’obtention d’une bourse lui permettent d’écrire son premier récit autobiographique, Le noir est une couleur. En 1975, elle est l’une des leaders du mouvement de grève des prostituées à Paris qui dénoncent le harcèlement policier et luttent pour la reconnaissance de leurs droits. Dès lors l’engagement militant devient la cause de sa vie concomitamment à l’écriture qu’elle a chevillée au corps. Refusant toute victimisation, déclarant que l’aliéné est le client, elle affirme en parfaite opposition avec les féministes abolitionnistes : « La prostitution est un Art, un Humanisme et une Science ».
La prostitution est légale en Suisse depuis 1942. Après le Danemark, la Hollande, l’Allemagne et l’Autriche, la Suisse reconnaît la profession d’assistant·e sexuel·le pour les personnes handicapées et âgées.

Blue Boy : entre paroles et silences

Film dispositif où sept jeunes travailleurs du sexe roumains émigrés en Allemagne sont face camera dans un bar gay de Berlin, le Blue Boy, vide de ses clients. Ils écoutent, en silence, les enregistrements des négociations téléphoniques avec des clients potentiels. Seuls leurs visages et leurs regards trahissent leurs émotions.
La prostitution est légale en Allemagne. Le Pascha à Cologne, Éros-Center de douze étages ouvert en 1972, possède son étage dédié à la prostitution masculine et trans.

Au cœur du bois : donner et prendre la parole

Claus Drexel réalise un montage à partir d’une centaine d’heures de rushes où témoignent hommes, femmes, transgenres, Blancs, Noirs, Latinos, jeunes ou moins jeunes, français ou étrangers, dans le Bois de Boulogne à Paris. Tous les protagonistes sont magnifiquement filmés en scope. Jugements négatifs, regards misérabilistes, compassionnels et condescendants n’ont pas cours ici. Seule la vérité de la parole de chaque personne interviewée compte. Certain·e·s intervenant·e·s suggèrent des personnages d’Almodovar, Fassbinder ou des Dardenne. En une mosaïque de visages, de corps, de mots et d’accents, Au cœur du bois fait le portrait éclaté de travailleur·euse·s du sexe où se côtoient humour, gravité et profondeur d’âme.
En France, les maisons closes ferment en 1946 (loi Marthe Richard). En mars 2009 est créé le Syndicat du travail sexuel (le STRASS) à l’issue des Assises européennes de la prostitution qui se sont déroulées au l’Odéon - Théâtre de l’Europe à Paris. La loi dite "d'abolition de la prostitution" de 2016 pénalise le client.