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L'Âge canonique

L'Âge canonique

« Vieillesse : période ultime de la vie plus ou moins bien vécue par une personne en fonction de son état physique et mental » nous dit le Trésor de la langue française. Métaphores et euphémismes viennent aussi la qualifier : automne / hiver de la vie, seconde jeunesse, troisième / quatrième âge. « Vieux » jugé trop stigmatisant est remplacé par personnes âgées, anciens et surtout seniors comme s’il s’agissait d’une classe sociale homogène alors qu’il y a autant de vieillesses que d’histoires humaines.

Ces 8 films permettent de rencontrer des personnes singulières qui, par leur engagement politique, humanitaire, artistique donnent à l’expérience de l’âge et du grand âge qu’elles traversent une image profonde d’intensité où se lit, à chaque seconde, le désir d’être, de vivre, de transmettre, d’aider. D’autres, éprouvées par le temps et la maladie, devenues dépendantes, ouvrent notre réflexion et nos interrogations sur la fin de vie.

Marceline, Sonja et Marie-José : trois vieilles dames admirables

Marceline Loridan-Ivens (1928-2018) est une rescapée de la Shoah dont elle a donné l’un des premiers témoignages dans une séquence de Chronique d’un été (1961). Après Marceline est une évocation-hommage-reconstruction de la dernière année de vie de Marceline, réalisatrice, écrivaine, épouse du cinéaste Joris Ivens (1898-1989). Dans son court-métrage de fin d'études, Antoine Ravon, qui fut son dernier assistant, montre combien la force de vie, l’engagement et la résilience de Marceline deviennent héritage et fondent son éthique de réalisateur en devenir.  

Le passé de Marceline résonne avec celui de Sonja Vujanović (97 ans) qui, filmée à Belgrade depuis 14 ans par Marta Popivoda et sa compagne Ana, fait le récit de sa vie de combattante antifasciste serbe, partisane communiste et résistante à Auschwitz-Birkenau dans Paysages résistants. Grâce à un subtil montage où s’entremêlent voix de Sonja, plans sur les lieux de mémoire puis extraits du journal d’Ana, le film relate une histoire du XXème siècle et pose un regard engagé sur le présent. Sonja est une inspiratrice pour les deux coréalisatrices qui, activistes dans les Balkans, entendent lutter contre le néofascisme qui les gangrènent aujourd’hui.

Marie-José Tubiana, 90 ans, est admirable dans son engagement en faveur des réfugiés du Darfour, territoire de guerre et de génocide depuis 2003. Sa « mission sacrée » s’ancre dans son passé d’ethnologue africaniste : 60 années de recherches sur les peuples du Darfour. Le grand âge de cette Combattante, force de mémoire et d’histoire, est espoir pour des exilés dont elle est le dernier recours.  

Jacques et Yukio : quand vient le temps de la retraite

Jacques Horovitz (père de la réalisatrice), chef de service au CHU de Bordeaux et professeur de gynécologie obstétrique, prend sa retraite contraint et forcé à 70 ans. Et maintenant, que va-t-il faire de tout ce temps qui sera sa vie, lui, Jacques, programmé pour travailler ? Jacques choisit le théâtre. Papa s’en va, avec un humour doux-amer, montre les étapes qui lui permettront de quitter son armure de médecin compétent autoritaire ancré dans le rationnel, pour se laisser aller à la grâce de l’émotion et à celle du corps qui se détend et lâche prise.

« Je continuerai jusqu’au jour où je ne pourrai plus marcher » telle est l’éthique de Yukio Shige dans La Ronde. Policier à la retraite, depuis plus de 15 ans, sans relâche, il arpente et surveille les falaises de Tojinbo, station balnéaire du Japon, lieux choisis par les désespéré.e.s pour se suicider. La mission que s’est donné Yukio, sauver des êtres humains juste avant leur passage à l’acte, force le respect.

Jacqueline et Grand-mère : quand la dépendance installe sa durée.

Jacqueline, mère de la réalisatrice, est atteinte de la maladie de Parkinson à un stade très avancé. Kané est son auxiliaire de vie depuis plus de dix ans, d’abord à domicile, puis en institution. Aux côtés de Jacqueline qui s’enfonce peu à peu dans la mutité, Kané trouve les mots justes qui la rassurent tandis que l’angoisse d’être perdue l’assaille. Mais la maladie effiloche ce lien tissé entre les deux femmes. C’est ainsi qu’on va vers l’été montre l’importance vitale des métiers obscurs et minorés de l’accompagnement dans la vieillesse et la dépendance.

Mirror of the bride (2013) est le deuxième volet d’une trilogie que Yuki Kawamura a consacré à trois femmes essentielles de sa vie, ses deux grands-mères et sa mère morte quand était enfant. Au fil des entretiens menés individuellement avec ses tantes et oncles sont dites les raisons (économiques, psychologiques, familiales) de l’impossibilité de la garde de Grand-mère parmi les membres de la fratrie. Grand-mère est atteinte d’un lourd handicap physique dû à une sclérose en plaques. Avec délicatesse, Yuki écoute le récit des péripéties de la vie de Grand-mère et nous donne à entendre son désir de mourir. Une des tantes qui, enfant, ne ressentit pas d’amour maternel à son égard, se révèlera être la plus présente auprès de sa mère, désormais résidente d’une maison de retraite de Kyoto.

Akeji et Asako : être, vivre et finir sur la voie de la calligraphie et de la peinture.

Maître Akeji (1938-2018), calligraphe, peintre, descendant d’une famille de samourais et sa femme Asako sont morts tous les deux en 2018. Akeji Sensei était maître en arts martiaux calligraphie et cérémonie du thé. « Trésor national du Japon », n’employant pour ses œuvres que des techniques traditionnelles et des pigments naturels, il fut le premier à introduire la couleur dans le Sho-do (Voie de l’écriture : la calligraphie). Le film, précieux document d’archives, capte quelques moments des toutes dernières années de la vie quotidienne ritualisée, quasiment autarcique et hautement spirituelle qu’a mené le couple pendant plus de 50 ans dans un ermitage des montagnes au nord de Kyoto. Vie consacrée au Ki, au souffle vital, à l’énergie de la montagne et à la trace de la communion avec l’immuable cycle de la nature, qu’entre sabre et pinceau, Akeji laisse dans ses œuvres.