les yeux doc

Se mettre en scène (jeune public)

L'Énergie positive des dieux © les Films du bilboquet.jpg
Quelle image de soi offrir aux autres quand on est porteur d’un handicap ? Comment comprendre cette interrogation quand on est animé par le désir, chevillé au corps, de partager avec le public une énergie créatrice si débordante qu’elle transfigure les corps et les mots en jaillissements poétiques ?

Ce parcours met en regard deux films à partir de l’expérience d’ateliers menés avec un public de collégiens, L’Énergie positive des dieux et Dans la terrible jungle. Chacun de ces deux documentaires interroge le regard que nous avons sur les personnes porteuses de handicaps ou atteintes d’un trouble du spectre de l’autisme, des pathologies ayant des conséquences parfois très lourdes sur leur sociabilité, leur langage et leurs expressions corporelles. À la question : « comment devons-nous les regarder ? », ces personnes répondent en se mettant en scène, c’est-à-dire en investissant un espace de rencontre et de jeu, entre elles et le public.    

Habiter la scène : L’Énergie positive des dieux

L’Énergie positive des dieux suit le travail d’écriture, les séances de répétition et les performances live du collectif Astéréotypie, groupe de rock tendance post-punk né au sein d’un institut médico-éducatif (IME) des Hauts-de-Seine. Composé de personnes autistes, d’un de leurs éducateurs également guitariste et de musiciens professionnels, le collectif se produit lors de concerts survoltés au cours desquels les chanteurs scandent des textes qui rappellent des poèmes surréalistes. 

Plutôt que d’envisager l’écriture et la musique comme un outil de soin (ce que propose l’art-thérapie), la pratique artistique constitue ici sa propre fin et n’a de sens que dans son expression sur scène. La salle de concert, qui permet la rencontre entre un public et des artistes, et aussi un espace dans lequel les membres du groupe transcendent leurs différences qu’ils transforment en une incroyable énergie. 

Dans un renversement de perspective salvateur, le documentaire de Laetitia Møller nous montre des performeurs dont les troubles deviennent une force lorsqu’ils se transmuent en puissance scénique. Plutôt que de penser l’accès à l’art et à la culture sous le prisme de l’accessibilité pour les publics dits « empêchés », il s’agit ici d’opérer un renversement de perspective : le groupe dont certains membres souffrent de troubles handicapants fait se déplacer des foules jusqu’à lui.

Sans minimiser les difficultés inhérentes à l’accompagnement des personnes atteintes d’autisme (en dehors de la scène, les angoisses prennent souvent le dessus), le film démontre qu’elles disparaissent lorsque les musiciens se mettent à jouer dans un lâcher prise proche d’une transe communicative. Entre le groupe et son public, il n‘est plus question de différences, seule compte la circulation de l’énergie.

Des adolescents « dans la terrible jungle »

Ombline Ley et Caroline Capelle ont pris leurs quartiers pendant un an et demi à l’IME La Pépinière qui accueille notamment des adolescents en situation de handicap. Les deux cinéastes n’imaginaient pas en repartir avec un long métrage documentaire. Arrivées sans projet de film (Ombline Ley animait un atelier musical), elles se sont retrouvées embarquées dans un tournage qui doit autant à leur regard de cinéastes, qu’à la créativité et au désir des adolescents d’être filmés.  

Dans la terrible jungle se présente comme un teen-movie collaboratif dans lequel le spectateur est convié à partager la vie quotidienne de jeunes filles et de jeunes garçons dont les préoccupations sont somme toute les mêmes que celles de tous les adolescents : on y parle d’amitié, d’amour, d’avenir professionnel. La caméra est tout sauf intrusive. Bien souvent ce sont les jeunes pensionnaires (et parfois les éducateurs) qui sollicitent les réalisatrices pour qu’elles viennent les filmer, et les dispositifs de tournage sont construits avec eux. Il résulte de tout ceci un film à mi-chemin entre l’observation tendre et malicieuse d’un lieu atypique par deux jeunes cinéastes et une série d’autoportraits.  

Comment raconter une réalité tout en se projetant dans des personnages rêvés ? Voici l’une des questions que se posent les adolescents du film. Cela se traduit par une cohabitation permanente entre des scènes à la lisière du film de genre et de la chronique d’un lieu de soin et d’éducation. Un batman masqué côtoie un cascadeur hors pair. Le cascadeur n’en est peut-être pas un, ses cabrioles sont le symptôme d’émotions difficilement régulées. Certains résidents doivent par ailleurs se résoudre à abandonner des aspirations professionnelles irréalistes. 

Grâce à la rigueur formelle des cinéastes qui ont imposé un cadre fixe à chacune de leurs séquences, la liberté de ton des personnages a pu trouver un écrin dans lequel chacun a pu laisser libre cours à sa fantaisie et, le temps du film, se mettre en scène dans ce qui s’apparente à une utopie temporaire mais salutaire.   

Vous avez envie de monter un atelier cinéma avec le jeune public dans votre bibliothèque ? Vous pouvez consulter la Fiche pratique "Animer une séance de cinéma documentaire pour les adolescents" sur le Site Bpi pro.