Au-delà du traditionnel repas de Séder, qui vacille quelque peu sur ses bases, il faut adapter les célébrations de Pessa’h, la Pâque juive, aux contraintes de la pandémie de Covid-19. Toutefois, l’essentiel demeure : la joie d’être ensemble, de partager et de chanter Radiadio (prononciation ashkénaze de « un agneau »). Les images de la fête au présent, filmées entre 2020 et 2021 via un outil de visioconférence puis une caméra numérique, se superposent à celles du passé, tournées en 1959 en pellicule super 8 par le grand-père d’Ondine Novarese. La famille est (ré)unie dans le temps du cinéma, à la fois dans l’histoire et dans l’espace, grâce au montage et à la prise de son pour créer de nouveaux souvenirs destinés à raviver avec nostalgie les célébrations à venir.
Dans Lèv la tèt dann fènwar, le silence est le noyau dur d’un basalte qu’il faut parvenir, sinon à désintégrer, du moins à fissurer pour que la mémoire puisse se transmettre. Fille métisse d’un père réunionnais, ancien ouvrier à la retraite déplacé en métropole à l’âge de 17 ans et installé à Mâcon, Erika Etangsalé entrelace étroitement histoire intime et histoire coloniale. Pour la première fois, le silence du père se brise, livrant à sa fille des fragments d’une histoire longtemps occultée. Dans ce tabou du passé colonial s’enracinent rêves et douleurs. La splendeur des paysages réunionnais, dominés par l’un des volcans les plus actifs de la planète, nourrit cette confession (verbale ou silencieuse) d’un tellurisme intérieur, répondant à la nécessité de comprendre le passé en créant des images.
Stimulé par une phrase énigmatique de sa grand-mère, Giacomo Abbruzzese part sur les traces de son grand-père, qui a abandonné sa famille dans les Pouilles pour s’installer à New-York, refaire sa vie et mourir dans des circonstances mystérieuses. Le cinéaste, téléphone portable en main, devient narrateur-enquêteur, embarqué dans un voyage et une aventure humaine le menant à explorer des secrets de famille, des histoires d’abandon et de reconstruction. Le récit se construit selon l’emboîtement des pièces d’un puzzle fait de photographies, de vidéos amateur, d’images d’archives et d’entretiens avec les membres des deux familles. L’un des enjeux d’America, qui s’ouvre et se referme sur un même lieu, est d’apaiser la blessure d’une fille (la mère du réalisateur) privée de son père.
Dans Le Fils, Alexander Abaturov accompagne le deuil impossible de Natalia et Sacha, les parents de son cousin Dima, tué d’une balle dans la tête lors d’une mission des forces spéciales russes au Daghestan. Grâce à un montage subtil, le cinéaste confronte les valeurs héroïques, virilistes et nationalistes de l’armée russe à l’absence, et à la mort, omniprésente pour les compagnons de Dima, endurcis par un entraînement brutal. À la statue érigée pour Dima en mémoire de son sacrifice, répond le plan final, saisissant, montrant le départ en mission de jeunes soldats, pris dans l’étau de leur patrie cannibale et avide du sang de sa jeunesse.
Avec Up the River With Acid, Harald Hutter filme l’énigme de la mémoire rongée par la maladie et celle d’un souvenir qui refait surface. Ses parents rêvaient de transformer leur maison de village en résidence pour artistes internationaux, un projet resté inachevé en raison de la maladie neurodégénérative du père, Horst, ancien professeur, spécialiste de Nietzsche. Sa femme, Francine, s’accroche à l’écriture pour composer avec le mystère des déclins cognitifs irrémédiables, tandis que le fils-cinéaste nourrit le désir de percer l’alchimie de leur rencontre. Une lueur, telle une épiphanie, illumine le film et lui donne son titre.
Mamacita ou comment une grand-mère, self-made-woman mexicaine dans l’industrie cosmétique, tyrannise ses proches et instrumentalise jusqu’à la moelle son petit-fils cinéaste.