les yeux doc

Danser

A bout portés © Silex Films – OdP
« La danse : cette fête du corps devant nos âmes, offrant lumière et joie » écrit Paul Valéry. Guidés par quatre films des yeux doc, nous appréhenderons cet art du mouvement et de l’éphémère où le corps vivant invente et invite au voyage dans l’espace, le temps et les cultures d’ici et d’ailleurs.
Cheminement vers la grâce : A bout portés

Neuf minutes de beauté et d’harmonie où sont filmés, au plus près, les visages de jeunes danseur.euse.s de l’Ecole Nationale de danse de l’Opéra de Paris lors des cours et des répétitions de ballets de John Taras et de John Neumeier. Neuf minutes où s’entremêlent le son du piano, celui du souffle des élèves et la voix du danseur étoile Michaël Denard (1944-2023), dédicataire de la chorégraphie de L’Oiseau de feu de Maurice Béjart. La voix transmet sa vision de la danse : « Je crois qu’on danse pour s’évader de quelque chose et pour être quelqu’un d’autre que soi-même ». Quête de perfection et de grâce, la danse est « un état d’esprit » qui ne s’apprend pas, dont seul un travail immense permet la manifestation. Des mouvements de barre à l’esquisse d’un pas de deux et d’un porté, les élèves sont intensément, à l’extrême (A bout), amenés / (portés) vers cet état où « uniquement l’âme du personnage ressort ».

Dialogue entre un opéra-ballet et une battle krump : Les Indes galantes

« Ce qui m’intéresse dans toute forme de création artistique c’est des mondes qui se rencontrent, qui cohabitent, qui se confrontent, qui essaient de vivre ensemble » (C. Cogitore). Dans le court métrage de 2017, captation montée de « La Danse du calumet de la Paix » (appartenant à la 4ème entrée des Indes galantes), Cogitore, cinéaste et plasticien, fait dialoguer la musique de Rameau, inspirée par une danse amérindienne tribale vue à Paris en 1725, avec une battle de krump (acronyme de Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise qui peut se traduire par « élévation du royaume par le puissant éloge »). Le krump est né dans les ghettos afro-américains à la fin des années 1990 après les émeutes de Los Angeles de 1992. Une alchimie se crée entre l’espace scénique de l’Opéra de Paris, cette musique rythmée du 18ème siècle et cette danse envoutante, libératoire et cathartique où les gestes symboliques se substituent à la violence. En 2019, Cogitore et la chorégraphe Bintou Dembélé, pionnière du hip-hop en France, proposent à l’Opéra Bastille leur vision des Indes galantes créé en 1735, où les chanteur.euse.s lyriques sont confronté.e.s à des danseur.euse.s virtuoses de l’électro, du hip-hop, du voguing, du flexing, du waacking, de la breakdance et du krump, danses issues de la rue et des night-clubs.

Dis-moi ce que tu danses…

Le Grand bal nous immerge dans le Festival de danses traditionnelles de l'Europe qui se tient l'été durant 7 jours et 8 nuits à Gennetines dans l'Allier. La journée : on apprend et/ou on se perfectionne. Le soir et jusqu'au petit matin : on danse jusqu’à oublier et dépasser la fatigue. Tandis que les images saisissent les corps dans leur diversité, leur aisance, leur difficulté, leur lâcher-prise, leur rencontre, la voix de L. Carton se livre à une introspection où elle déclare son amour pour les danses enracinées, les danses collectives et les cercles circassiens. Sortir de soi, ressentir l'autre, être dans la vie : telles sont les grandes vertus de la danse qui, à 2, 4 ou 100 est « reliance à la profondeur... où nous ne sommes qu'un dans ce noyau d'immortalité qui nous habite et la certitude qu'il existe un autre monde et qu'il est déjà dans celui-là. »

Invention de « la ciné-transe »

En 1954, dans Les Maîtres fous, Rouch se déleste de tous les principes de l'observation objective en ethnologie, tourne caméra à l'épaule en un jour, se mêle à la danse de possession (d'ordinaire fermée aux non-initiés) cherchant à faire lui-même l'expérience de la dépossession de soi et de la transe. Par cette immersion, dans cette mêlée, Rouch éprouve, ressent le rituel dont il capte la matière, la chair, l'esprit, l'âme. Il nomme cette façon de filmer « La ciné-transe » qui est une des sources d’inspiration des cinéastes-filmeurs de la danse contemporaine. Être au cœur des mouvements, de leur rythme, de leur souffle, être au plus près des danseur·euse·s de l'intime des corps pour saisir l'insaisissable, ce passage du vivant bien au-delà de la simple expression corporelle.