À bout portés
La comédienne et réalisatrice Clémence Poésy propose un regard inédit sur les jeunes élèves de l’École de Danse de l’Opéra national de Paris. Elle laisse hors-champ les corps au travail et saisit dans un cadrage serré l’intimité des visages pour révéler une part du mystère de cet apprentissage quotidien.
«Ça se fabrique (comment) la grâce ? Au départ, enfin juste après l’émerveillement de toujours, et l’émotion face à la perfection d’un ballet, il y a cette question - ou plutôt il y a l’envie, profonde, d’aller chercher, de regarder, de comprendre, peut-être, un peu de ce secret s’il existe. On fait des films pour saisir des mystères - pour aller chercher au plus près des êtres, un petit peu de leur essence, de leur complexité, de leur beauté.
Comédienne, j’ai souvent observé des surprises infimes et merveilleuses sur les visages d’acteurs / compagnons de route une fois le film terminé. Nous avions joué des scènes ensemble - et tant de fois très proches - parfois même, nos peaux s’étaient touchées... Et pourtant, la caméra avait décelé quelque chose de nos personnages que nous ignorions nous-mêmes. Le gros plan est un monde - un révélateur d’âmes. La danse, je ne la connais que comme spectatrice - les danseurs que de loin. Ils m’impressionnent, me transportent, me troublent d’autant plus. Comment traverse-t-on cette transformation si physique - si concrète - de nature en culture ? De quoi faut-il s'armer pour cette aventure ? La question qui est au centre du film, c’est cette contradiction qui m’enchante depuis toujours - toute forme d’art la soulève mais la danse l’expose de façon peut-être plus impressionnante, plus éclatante que les autres. Créer n’est ce pas maîtriser l’inexplicable ? Répéter l’insaisissable ?
En observant à l’École de danse de l’Opéra national de Paris le travail de ceux qui construisent jour après jour leur "devenir" de danseurs et danseuses, est né le désir d’un regard qui laisserait hors-champ les corps qu’ils domptent chaque jour - ce qui sera après dans la lumière, sur scène - rendus magiques par un travail acharné. Le désir d’un film qui mettrait le gros plan au service de la "quête" que devient cet apprentissage. Scruter ce à quoi le spectateur des deux autres scènes de l’Opéra n’a pas accès. Et saisir peut-être dans l’intimité d’un visage quelque chose de ce mystère là....» (Clémence Poésy)