les yeux doc

De la vie de quelques agricultrices et agriculteurs

Les Vaches n’auront plus de nom © Douk Douk Productions
La 58ème édition du Salon International de l’Agriculture (SIA) qui se tiendra au Parc des expositions de la Porte de Versailles à Paris du 26 février au 6 mars 2022 sera celle des retrouvailles des Français avec les exposants suite à l’annulation du salon en 2021 pour cause de pandémie. Il y a fort à parier qu’en cette année doublement électorale « La plus grande ferme de France » recevra la visite rituelle des candidat-e-s en campagne.

 « L’agriculture : notre quotidien, votre avenir » : telle est la thématique du Salon choisie cette année. Neige est l’égérie de ce 58ème salon. De race abondance, cette vache doit son prénom non seulement au poil blanc de son museau mais aussi à son lieu de naissance : les alpages du Grand-Bornand en Haute-Savoie. Cinq films témoignent, sans nostalgie excessive, de la disparition de modes de vie et de travail ruraux et de la fin imminente de l’agriculture de subsistance. Ils nous offrent la possibilité d’élargir notre point de vue en quittant l’Hexagone pour d’autres pays d’Europe.

Les Vaches n’auront plus de nom, d’Hubert Charuel

Les Vaches n’auront plus de nom documente l’étape décisive du passage à la retraite d’un couple d’exploitants bovins, Sylvaine et Jean-Paul, dont le fils unique Hubert (le réalisateur lui-même), ayant attrapé le virus du cinéma et étant sorti diplômé de la Fémis en 2011, ne reprendra pas l’exploitation familiale. Dans son long métrage de fiction Petit Paysan, Hubert Charuel abordait les pires craintes des jeunes repreneurs selon le prisme d’une épidémie mystérieuse frappant le cheptel bovin de Pierre, âgé d’une trentaine d’années. Dans Les Vaches…, Charuel fait, de manière très pudique où l’humour pointe çà et là le bout de son museau, une déclaration d’admiration pour le métier de ses parents. Si Jean-Paul, le père taiseux, part à la retraite cassé, fourbu, sans regrets ni nostalgie ; pour Sylvaine, la mère, c’est une autre paire de manches. Très attachée à ses vaches, toutes prénommées, elle doit encore travailler trois ans. La seule solution pour elle est le départ progressif de Dimanche et de ses 29 compagnes d’étable pour une ferme ultra-moderne où elle sera salariée et où ses vaches ne seront plus que des numéros et n’auront plus de nom.

La Vie au loin, de Marc Weymuller & Retour à la terre, de Joao Pedro Placido

La Vie au loin illustre la disparition de la civilisation de la terre en Occident, celle que menaient nos grands-parents dans les campagnes françaises des années 50. Le Barroso, région de hauts plateaux montagneux portugais restée à l’écart de la modernité, a subi un exode rural massif. Le mode de vie traditionnel et ancestral, de ceux qui y vivent depuis toujours ou qui y reviennent pour mourir, est rythmé par la rudesse du climat. L’Homme, son troupeau et le paysage ne font qu’un. Avec un cadrage soigneusement composé, La Vie au loin filme une vie qui semble éternelle accrochée aux nuages dans le creux des montagnes tout en évoquant un monde perdu depuis longtemps. Trois personnages (le prêtre, le poète, le vagabond) parlent du temps passé, du présent, de leurs attentes sans espoir et de leurs rêves étranges.

Retour à la terre est aussi une évocation de la disparition de l’agriculture de subsistance dans un hameau du Nord du Portugal où vécurent les grands-parents du réalisateur. 49 habitants traversent les quatre saisons. Quelques-uns d’entre eux parlent de ce qui les anime et les préoccupe. Parmi ces visages marqués au burin par les rides du dur labeur se détache la figure de Daniel, jeune berger de 20 ans qui cherche à sortir de sa solitude en essayant de trouver l’âme sœur.

Le Pont des fleurs, de Thomas Ciulei

La Moldavie est le plus pauvre des pays de l’Europe orientale. Un quart de sa population a été contrainte à l’exil économique. Le Pont… est la chronique de la vie d’une famille de paysans moldaves orthodoxes dont la mère est partie depuis plusieurs années travailler à l’étranger pour compléter le revenu familial, éponger les dettes et payer les études des trois enfants restés avec leur père, Costiça. Celui-ci s’acquitte de sa tâche avec une grande pédagogie et la ferme volonté de donner la meilleure éducation possible à Alexandra, Maria et Alexie qui l’aident pour tous les travaux de la ferme. Attentif à transmettre l’attachement à la terre de leurs ancêtres, il culpabilise de « voler leur jeunesse » à ses enfants.

Honeyland, la femme aux abeilles, de Ljubomir Stefanov et Tamara Kotevska

Honeyland raconte la vie dans les montagnes reculées de Macédoine de Hatidze, 60 ans, l’une des dernières personnes à récolter à la main le miel selon une tradition séculaire. Parcourant des kilomètres, parfois au risque de sa vie, pour atteindre des ruches naturelles à flanc de falaise ou cachées dans la roche, avec pour seule protection un petit enfumoir, Hatidze participe à la sauvegarde des abeilles. En effet, elle ne récolte que la moitié du miel produit, soit ce qui lui permet de (sur)vivre, laissant aux abeilles (les sentinelles de l’environnement) de quoi ne pas mourir de faim. Hatidze vit dans un village abandonné avec sa mère de 85 ans, paralysée et aveugle. Sa vie sera fortement perturbée par l’arrivée d’une famille turque de sept enfants qui ne partage ni ses valeurs ni sa conscience écologiques. Dans ce conte réaliste où fiction et documentaire s’entremêlent, il est aussi question de transmission d’un savoir, celui du respect des abeilles dans leur environnement, fragile équilibre dont Hatidze est la gardienne.