Franz Kafka (3 juillet 1883 - 3 juin 1924) reste, cent ans après sa mort survenue à 39 ans et 11 mois, un écrivain entouré de mystères. Deux films Les yeux doc, complémentaires l’un de l’autre, tentent, chacun à sa manière, si ce n’est de les percer, du moins de les approcher.

Une biographie documentée : Le mythe Kafka

Le film de Karel Prokop, réalisateur né à Prague ayant émigré en France à la fin des années 1960, respecte la chronologie de la vie de Kafka. Le mythe… est une introduction à la personnalité complexe de cet écrivain hors du commun dont nul ne connaîtrait l’ampleur et l’originalité (parfois visionnaire) de l’œuvre sans la volonté de son meilleur ami et confident, Max Brod (1884-1968). Par deux fois, Max sauva de la destruction les écrits de Franz : après sa mort en 1924 et au moment de l’invasion de la Tchécoslovaquie par les nazis en 1939.

Les ambivalences de Kafka face à l’amour, au travail « alimentaire » de fonctionnaire et à l’écriture, à Prague et surtout sa relation conflictuelle à Hermann, son père, structurent le documentaire. Une large place est accordée à La Lettre au père écrite en 1919, longue missive de dizaine de pages, jamais arrivée jusqu’à son destinataire, où Kafka décrit le comportement paternel autoritaire, effrayant et dominateur, source principale de ses maux.

Deux interventions de la critique littéraire et traductrice Marthe Robert (1914-1996), montrent la coexistence entre monde chrétien et monde juif à Prague comme dans l’esprit de Kafka tout en soulignant la situation impossible, indémêlable de l’écrivain face à la littérature, sa passion. Des images d’archives montrent Max Brod et Věra Saudková (1921-2015), nièce de Kafka. Sa mère, Ottla, comme les deux autres sœurs de Franz furent victimes de la Shoah. La musique du documentaire est l’œuvre de son petit neveu, Vojtěch Saudek. Karel Prokop, quant à lui, assume la voix off.

Un film-essai : Qui était Franz Kafka ?

Richard Dindo est un amoureux de la littérature. Le projet de Qui était… ? repose sur les écrits autobiographiques (Le Journal et Les lettres) de Kafka ainsi que sur ceux de proches. Trois amis (Max Brod, Gustav Janouch, Max Pulver) et trois femmes amoureuses (Felice Bauer, Milena Jesenská, Dora Diamant), tous morts sont incarnés par des acteurs. Les comédiens sont ainsi les messagers des morts. Chaque intervenant, filmé face caméra, dit sa vérité sur ce qu’il a vécu, partagé, découvert en côtoyant Kafka. Ces monologues sont le fruit d’une sélection dans les écrits des uns et des autres ou à partir des lettres de Franz.

Prague et ses ruelles, les sanatoriums, la campagne, tous vides, sont propices au surgissement des êtres du royaume des morts et au travail de mémoire qui hante Dindo. Sur quelques photographies apparaissent des passants et des habitants du ghetto, figés dans les images d’archives. La musique, une mélodie hébraïque composée par Maurice Ravel en 1910 et un chant a capella résonnant dans la synagogue espagnole de Prague, participe de la dimension tragique de l’œuvre, des lieux et de l’histoire des Juifs d’Europe. La voix de Samy Frey, qui n’apparaît jamais à l’écran, donne chair aux mots de Kafka.

Si Le mythe…est un préambule à l’œuvre de Kafka, Qui était.. .? est une plongée dans son écriture exigeante à l'extrême et une démarche originale, un cheminement vers son intériorité.