Pour son premier documentaire, le reporter-photographe Nicolas Mingasson continue son travail initié en 2010 avec des militaires revenant d’opérations extérieures. Le film s’intéresse à leurs syndromes post-traumatiques (SPT) dans le cadre d’un stage au Centre Ressources des Blessés de l'Armée de Terre (CReBAT), dans le Mercantour.
Depuis quelques années, un regain d’intérêt pour les Forces armées françaises traverse les milieux intellectuels, notamment dans le champ des relations internationales, du management et des médias politistes. L’Armée française a longtemps été perçue comme une institution surannée puisqu’on pensait que le libre-échange et la démocratie avaient eu raison de la guerre. Visionner Le Souffle du canon en 2025, alors qu’il est sorti en 2019, incite à porter un regard nouveau sur le film, au vu du nombre exorbitant de soldats morts et blessés, par exemple en Ukraine depuis 2022, et de l’essor menaçant de puissances extra-occidentales.
Tout semble partir d’une absence. Dans Le Souffle du canon, nulle image de canon, nulle séquence d’opex (opérations extérieures). Enfin, si : une seule, composée de quelques photogrammes silencieux. Tel un même, image virale sur Internet, elle revient hanter le film à plusieurs reprises. Des soldats gravissent un pic rocailleux de nuit : celui fermant la marche se retourne vers la caméra. Ce sample onirique génère un malaise : celui de se (re)plonger dans le combat.
L’audace du film ne se trouve pas dans les plans visuels, mais dans la capacité à faire parler les soldat·es et partant, à filmer les voix, ce qui est dit, à qui, quand et comment. Mingasson choisit souvent le gros, voire très gros plan. Il agit en portraitiste en ajoutant peu de musiques additionnelles, à l’exception de quelques notes de handpan, tambour d'acier à percussions manuelles, autre sample. Quelques plans d’ensemble plantent le décor.
La durée du stage est aussi celle du tournage : cinq jours. Cette contrainte est contrebalancée par la faculté à saisir l’expression des scènes traumatiques : attaque talibane dans une base occidentale ; envoi à contre-cœur d’hommes au feu ; grand brûlé qu’on abandonne. Entre autres mouvements forts du film, deux en particulier témoignent de la confiance totale des soldat·es. Mingasson partage la même chambrée qu’eux. Un soir, le cinéaste rallume sa caméra pour capter le moment informel où les hommes confient tous avoir perdu durablement leur libido. L’honnêteté et la sensibilité des soldats sont poignantes. Un autre temps majeur est celui où chaque participant·e découvre que les autres souffrent aussi de l’angoisse d’aller faire les courses, ainsi que d'hallucinations audiovisuelles et olfactives.
Le documentaire semble agir à deux niveaux. Pour les soldat·es, il restera sans doute le témoignage du moment où iels ont commencé à agir sur leur SPT. Pour les spectateur·rices, il permet d’appréhender ce par quoi passent celles et ceux qui en souffrent. Dans cette perspective de sortir du brouillard cognitif qu’est la guerre, le spectateur effleure le hors-champ du film : l’ennemi. Souffre-t-il également du même syndrome post-traumatique ?
« En général quand on a un blessé ou quoi, on demande au début des nouvelles, puis de moins en moins, puis on oublie complètement. J’ai des potes qui ont coupé les ponts, j’ai plus eu de nouvelles du jour au lendemain. C’est ça, c’est qu’on veut pas le voir, ce… On le sait tous mais on veut pas l’entendre ».