les yeux doc

Coup de foudre pour "Selfie"

Selfie © Magneto Presse
Le coup de foudre des bibliothécaires : Selfie (2019), de Agostino Ferrente, Pietro Orlando et Alessandro Antonelli par Clara, bibliothécaire à la Bpi
Synopsis

Pietro Orlando et Alessandro Antonelli vivent dans le quartier Traiano à Naples. Ils se filment avec un téléphone portable sur la proposition d’Agostino Ferrente, réalisateur établi du film. Davide Bifolco, est abattu par la police - qui l’a confondu avec un criminel en fuite. Cette bavure est la porte d’entrée dans le quotidien des jeunes du quartier. « C’est un film qui parle de la mort » ; mais le spectateur découvrira qu’il est aussi question des « belles choses du quartier ».

L’Avis de la bibliothécaire

Davide Bifolco, est le point de départ du documentaire ainsi que sa fin : une inscription finale rend hommage « à tous les Davide Bifolco dans le monde ». Il connaissait Pietro Orlando et Alessandro Antonelli qui deviennent, le temps d’un été, à la fois héros et compositeurs des images de leur quartier et de leur réalité ; comme un miroir de la vie du jeune homme décédé.

La particularité du documentaire se constitue principalement par le choix du cadrage et de l’appareil de prise de vue : un téléphone portable, en « mode selfie » où les deux apprentis réalisateurs apparaissent constamment dans le champ. Le réel est transmis directement par les sujets même du film : les jeunes napolitains. Ils participent ainsi à la construction de leur propre récit. Le point de vue du réalisateur, Agostino Ferrente, est lui, limité puisque les images sont produites directement par Pietro et Alessandro. Le montage et l’insertion d’enregistrement de caméra de surveillance du quartier ou d’archives du centre d’appel des services de secours de Naples permettent au réalisateur de se positionner ; d’inscrire son propre discours dans le documentaire et de créer des ruptures dans la temporalité du récit. 

Ces choix donnent une réelle vitalité au documentaire : le spectateur est plus proche des protagonistes ; jeté dans l'immédiateté de leurs vécus. Cette proximité est accentuée par la prise de vue amateur et la liberté de parole des deux jeunes hommes face à cette caméra familière. Mais l’œil du spectateur qui observe l’intimité et le quotidien, souvent brutal, des jeunes napolitains ne tombe jamais dans l’indiscrétion : ces images sont pensées et consenties. Pietro orchestre même une scène de fusillade pour illustrer la violence des gangs qui imprègne le quotidien du quartier.

Pietro et Alessandro nous emporte avec eux dans la violence urbaine, le béton, et la nécessité, notamment de travailler à 16 ans pendant les vacances. Cette rude réalité coexiste avec les pulsions de vie, la force de la jeunesse, les rêves et la fraternité.

La prouesse de ces deux napolitains est de transformer l’objet principal du documentaire, la mort injuste de Davide, en ode à l’amitié. Les plaisirs et expériences qu’ils arrachent à leur quartier sont délicieux parce qu’ils les vivent ensembles ; le spectateur compris. Les rires, les discussions et les instants de vie capturés par le téléphone nous permet d’entrer en douceur, le temps du documentaire, dans la chaleur et la brutalité de la vie italienne de Traiano. 

Citation

Extrait d’une déclamation d’un jeune interviewé dans le film par Agostino Ferrente :

« Gioventu bruciata / Cosi voi ci chiamate / Siamo nati sfortunati / Una grande fatica / Tatuata sulla pelle / Una foglia di marijuana / Ma ancora guardo le stelle / Pensando a domani. »

« Jeunesse brulée / Vous nous appelez comme ça / Nous sommes nés malchanceux / Une grande fatigue / Tatouée sur la peau / Une feuille de marijuana / Mais je regarde encore les étoiles / En pensant à l’avenir »

Clara, chargée de Chargée de collections et médiation en Histoire de l'Europe & Sciences auxiliaires de l'Histoire à la Bibliothèque publique d’information