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Coup de foudre pour "Felix in Wonderland"

Felix in Wonderland © Ecce Films
Le coup de foudre des bibliothécaires : Felix In Wonderland (2019), de Marie Losier par Claude-Marin, bibliothécaire à la Bpi
Synopsis

Moitié Dr. Spock de l’électronique musicale, moitié Buster Keaton capable de pantomimes robotiques existentielles et sensuelles, Felix Kubin (1969-) est le héros de ce voyage à travers l’Allemagne postfuturiste, et de cette plongée dans la psyché. Angoisses, inventions et pulsions scandent le portrait tout en dérision – voire en délires – que Marie Losier, artiste-documentariste mélomane et fantasque, compose en pistant le quotidien hyperactif et subconscient du musicien.  

L’avis du bibliothécaire

Filmer la musique, c’est emboîter plusieurs temporalités. Celle du film, celles des musiques filmées, et celles de ceux qui la font. Zorn par Amalric peut faire songer à Chaplin ; le musicien électronique allemand Felix Kubin, lui, filmé par Marie Losier, évoquerait plutôt Keaton. Le sens du temps, de la durée, est le moteur de Felix in Wonderland ; les sons et les corps qui l’animent son carburant.

Car dans cette traversée du miroir, Marie Losier filme - à nouveau - des corps. Augmentés, transformés par d’étranges interférences sonores, des expériences, des rêves. Corps de bêtes (chien, chouette), émettant ou recevant des sons, corps humain dans une baignoire ou sur une table d’(auto)dissection,  corps conducteur d’un musicien dansant au rythme d’une pulsation vitale, corps subtil tissé de voix et « d’un tas de fréquences libres » - comme Kubin s’imagine devenir au moment de sa mort.

« Nous devrions mourir bébés, sans perdre notre voix », prête-t-il à son alter ego (le musicien Jac Berrocal, assis sur ses genoux) dans une mise en scène proprement surréaliste. Avec le grain qui caractérise autant sa caméra 16mm que les sons qu’affectionne son héros, enfant de Dada, Stockhausen et Kraftwerk, Marie Losier alterne séquences documentaires où Kubin, en habits de tous les jours, travaille et joue (séquençages de sons, composition, répétitions), réalise des « expériences » (avec des bêtes, mais aussi lui-même - comme dans cet auto-baptême loufoque réalisé en extérieur dans une baignoire) et rêves, cauchemars, hallucinations manifestement authentiques où il se met en scène, en costume de docteur Spock ou de Napoléon cryogénisé, dans des décors industriels, futuristes ou fantastiques. C’est drôle la plupart du temps, réjouissant ; c’est discrètement et implacablement grave, aussi, comme lorsque qu’un cœur qui bat est découvert à l’intérieur d’une vieille horloge. Dans cette traversée, le beat, la pulsation, est aussi un compte à rebours.

Claude-Marin, Chargé de collection en géographie et urbanisme à la Bibliothèque publique d'information