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Cinémathèque du documentaire à la Bpi - Claire Simon

Claire Simon © Sophie_Bassouls.jpg
Entretien avec Marion Bonneau, programmatrice à la Cinémathèque du documentaire, sur le cycle “Claire Simon, les rêves dont les films sont faits, qui se déroule du 21 septembre au 1er novembre 2023 à la Bibliothèque publique d’information (Bpi).
Au niveau de la programmation de La Cinémathèque du documentaire, que se passe-t-il tout au long de l’année à la Bpi ? 

La cinémathèque du documentaire à la Bpi propose 350 séances annuelles dans les salles du Centre Pompidou. La cinémathèque du documentaire est un réseau qui, à l’échelle nationale, essaie de promouvoir la diffusion du cinéma documentaire. Depuis la création de ce réseau, la Bibliothèque publique d’information a la mission, audacieuse et un peu folle, de montrer des films documentaires tous les jours, en salles de cinéma, au centre de Paris. La programmation s’organise autour de grands cycles saisonniers (printemps, automne et hiver) qui peuvent correspondre à des thématiques, des filmographies nationales, ou s’intéresser à l'œuvre d’une personne, comme cet automne avec la rétrospective Claire Simon.

Comment s’est fait le choix d’un cycle sur le cinéma de Claire Simon ? 

Claire Simon est une figure importante dans le paysage cinématographique français. C’est une personne que la Bpi a souvent invitée pour présenter ses propres films mais aussi lors de séances consacrées à d’autres cinéastes. J’étais déjà admirative de son travail, et je savais que sa parole sur le cinéma était très précieuse et éclairante. Programmer les films de Claire Simon semblait une évidence… et pourtant c’est l’une des premières intégrales documentaires qui se tient en France. Il s’agissait également d’accompagner la sortie nationale de son dernier film, Notre corps, en salle le 4 octobre 2023. On s’est dit que ce serait très beau de profiter de cet événement pour faire un retour sur son œuvre.

Comment avez-vous envisagé et construit ce cycle ? 

Ce qui était intéressant dans l’organisation de ce cycle, c’était de pouvoir rencontrer la cinéaste, échanger avec elle, réfléchir ensemble aux invité.e.s et à la façon d’articuler les choses. Un parcours dans sa filmographie s’est progressivement dessiné, en formant des associations qui ne sont pas toujours chronologiques mais qui permettent de montrer différents aspects du travail de Claire Simon. Il a été possible d’articuler des films entre eux, de les réunir sous différents intitulés : “Raconter des histoires”,  “Questions d’argent”, “Le pouvoir de l’imaginaire”, “Chercher sa place”,  “Le tout pour le tout”, “En série”, “Le Midi”, “Lieux de passage” et “Prendre soin”. Sous ce dernier intitulé, par exemple, on réunit Notre corps, son dernier long-métrage entièrement tourné au sein du service gynécologique de l’hôpital Tenon à son premier long-métrage, Les patients, qui suit un médecin dans ses consultations, un mois avant son départ à la retraite. On constate que des années plus tard, Claire Simon s’intéresse encore à ce qu’est le soin, la relation thérapeutique, la parole au sein de cette relation, le rapport au corps de l’autre.

Par ailleurs, l’œuvre de Claire Simon n’est pas strictement documentaire, elle est marquée par une grande hybridité. Il était compliqué pour nous d’accueillir ses fictions donc très vite la question de ce que nous allions diffuser s’est posée. J’ai essayé de la résoudre grâce à un partenariat avec la société Dulac. Ses fictions seront donc montrées au Reflet Médicis pendant la rétrospective, pour que le public puisse avoir la chance, à Paris, de voir l'œuvre de Claire Simon dans son intégralité.

En s'immergeant dans cette œuvre, qu'avez-vous découvert et eu envie de partager à propos du cinéma de Claire Simon ?

Je pense que visionner tous ses films dans un temps très rapproché m’a permis de voir la capacité du cinéma de Claire Simon à rendre matérielles des trajectoires sociales. Dans ses films, il y a des portes que l’on franchit, des escaliers que l’on gravit, des espaces que l’on investit, des trains que l’on doit prendre, de l’argent à gagner… Et j’ai pu également remarquer le don qu’elle a pour transformer les personnes qu’elle filme en personnages. J’ai mesuré la puissance d’un cinéma qui parvient toujours à capter les tensions dramatiques en jeu dans des instants de vie qu’on pourrait penser ordinaires. C’est une capacité d’écoute et une faculté à se mettre suffisamment à la place de l’autre qui permet de révéler ce qui l’habite, ce qui l’anime, ce qui le.la travaille. Les personnes se racontent des histoires, se font des films. Et j’ai l’impression que Claire y accorde une réelle importance, et bien souvent qu’elle y croit peut-être, elle aussi, avec celles et ceux qui sont derrière la caméra, au moins le temps du tournage.

Après une rétrospective autour de l'œuvre d’Helga Reidemeister, aujourd’hui vous présentez l'œuvre de Claire Simon. Cette place pour les femmes cinéastes, est-ce quelque chose qui vous habite en tant que programmatrice ? 

Oui, pour moi c’est important, j’y réfléchis évidemment et j’investis l’espace de programmation que l’on m’accorde en tentant de présenter des filmographies de femmes, plus ou moins connues en France. Je pense que nous avons toutes grandi avec des modèles. Et longtemps, l'espace a été occupé par une majorité d’hommes occidentaux. Cela n’enlève rien à l’admiration que j’ai pour nombre de figures masculines, mais aujourd’hui, il me semble nécessaire de valoriser des œuvres de femmes, comme des réalisations non occidentales, afin de proposer une plus grande diversité de regards et des modèles différents. Je sens que j’ai encore beaucoup à apprendre et à découvrir ! Je ne veux évidemment pas retourner les choses et ne faire que des programmations strictement féminines, mais pour moi c’est important de donner une place aux femmes. D’ailleurs, ce n’est pas une place à donner, c’est une place qu’elles méritent. Et il y a encore un problème de représentation, quoi qu’on en dise… Même si les chiffres sont en hausse, je pense que le pourcentage de femmes, en France, qui réalisent ou co-réalisent tourne autour de 25%. Le budget moyen d’un film réalisé par une femme est largement moins important que celui accordé à un homme, et le coût de distribution également. Il y a encore du chemin à faire, du soutien à apporter.
Claire Simon fait partie de celles qui se sont taillées une place à une époque où c’était encore plus complexe d’être réalisatrice. Elle fait partie des premières femmes cinéastes dont j’ai rencontré les films documentaires. C’est d’ailleurs ce qui rend le fait de programmer cette rétrospective assez émouvant pour moi !

Pour revenir à Claire Simon, est-ce que vous pourriez nous parler de la place de Géographie humaine dans son cinéma ?

Ce qui est particulier avec ce film c’est qu’il a son pendant de fiction avec Gare du Nord. Le projet est né d’un atelier que Claire Simon a donné à des étudiant.e.s de la FEMIS. Elle a amené un groupe à la gare du Nord en leur demandant d’écouter des conversations et d’essayer d’observer des situations qui pourraient leur permettre d’élaborer un scénario. Elle a beaucoup parcouru les lieux, elle aussi. En écoutant et en observant, elle a constaté la richesse de cet espace, elle a eu envie d’y faire un film. Elle a d’abord tourné ce documentaire Géographie humaine, avec un ami à elle, Simon Merabet, que l’on rencontre d’ailleurs dans un de ses premiers films, Mon cher Simon. Claire est donc avec Simon, dans cette Gare du Nord, lieu immense où le monde entier peut se croiser, et où les gens ne sont que de passage. En allant à la rencontre de ces personnes qui viennent de partout, Simon réfléchit aussi à sa propre place, en tant que Varois d’origine algérienne. C’est un film assez curieux parce que Claire Simon filme son ami essayant d’entrer en interaction avec des gens qui ont tous un train à prendre ou quelqu’un à venir chercher. Cela donne lieu à des conversations qui sont rarement posées, où tout est flou et mouvant, mais où des bribes de récit sont offertes, comme pour laisser une trace avant de disparaître. Ce qui est assez fort, c’est que la fiction Gare du Nord s’imprègne de toute cette exploration, de toutes ces rencontres, et restitue dans le scénario beaucoup des découvertes faites par Claire et Simon dans Géographie humaine.

En tant que jeune programmatrice, qu’est-ce qui vous anime ? 

Pour moi, le cinéma documentaire est une pratique de l’engagement. Les cinéastes nous offrent leur point de vue, prennent des risques, se mettent en jeu, et mettent en jeu les personnes filmées, trouvent des moyens qui permettent à une parole de nous arriver, à des histoires de se formuler...
La programmation de cinéma documentaire, c’est aussi pour moi une forme d’engagement, certainement moins risquée, mais je le fais avec une grande sincérité ! Il s’agit de mettre en valeur ces regards multiples et précieux, ces regards personnels et attentifs à l’autre, ces regards qui peuvent venir révéler, bousculer, créer du dialogue… J’essaie de partager des films avec le public et dans ce partage, j’espère que des œuvres puissent toucher autant qu’elles m’ont touchée.  

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