les yeux doc

Les archives du désamour

Vas-y voir © La Fémis
Renée, Madeleine et Gelsomina ont été abandonnées par leurs maris. Comment conjuguer une vie de mère et de femme quand le mari a disparu, dans la France et l’Italie d’avant mai 68 ? Les films de cette sélection abordent des histoires personnelles à travers l’utilisation d’archives de famille. Plusieurs tranches de vie racontant la séparation sont à regarder sur Les yeux doc.

Suite à deux réformes successives du droit civil dans les années 1960-1970, la réforme des régimes matrimoniaux en 1965 et la suppression de la fonction paternelle de chef de famille en 1970, le statut et le regard porté sur les femmes séparées ou divorcées ont bien changé. Le cinéma documentaire rend possible une prise de recul sur cette période du XXe siècle où le départ d’un mari pouvait bouleverser considérablement l’existence des femmes.

Le documentaire familial à base d’archives de famille devient un genre à part entière dans les années 2000. Du psychédélique et torturé Tarnation de Jonathan Caouette (2003), jusqu’au bouleversant Carré 35 d’Eric Caravaca (2017), les projets documentaires explorent l’intime à la première personne. En témoigne, la prolifération des “podcasts du je” comme Les Pieds sur terre diffusé par France culture ou Transfert par Slate. L’existence de Renée R. se raconte à la première personne, bien qu’il s’agisse de la lecture de lettres intimes par une actrice. Pour America et Vas-y-voir, ce sont les descendants des femmes qui sont allés fouiller dans les cartons d’archives de famille de leurs grands-parents. Comme s’il fallait une génération de distance pour raconter les histoires de famille. Pourquoi exhumer les films de famille des armoires (normandes) ? En général, les films domestiques montrent l’image idéale de la famille comme comme s’ils recelaient l'image d'Épinal du bonheur perdu de l’enfance. Mais dans ces familles décomposées, porter un regard sur la fin de la famille nucléaire est encore un sujet traumatique. Comme ces familles se sont désunies, elles ont échappé à la vie tranquille du roman familial. Les réalisateurs utilisent dès lors les archives pour donner corps à un manque et peut-être, trouver une forme d'émancipation. Ces récits élèvent des trajectoires intimes au rang d'un phénomène qui augure de nombreux bouleversements de société.

Attendre la fin du rêve américain

Quand il apprend de la bouche de sa grand-mère que son grand-père Claudio Minoia n’est pas mort d’un accident mais a été assassiné à New-York, Giacomo Abbruzzese prend un avion pour enquêter aux États-Unis. À travers différents régimes d’images, photographies, vidéos filmées au portable ou sur Skype, le cinéaste franco-italien, célébré à la Berlinale pour son premier long métrage, Disco Boy, bouscule sa mère Marina afin d’en apprendre plus sur le départ de son mystérieux grand-père et l’abandon des siens en 1957. Gelsomina, enfin, raconte les années passées dans l’attente de son mari.

Recommencer sa vie dans l’Afrique de l’Ouest des années soixante

Dinah Ekchajzer passe par les nombreuses archives laissées par sa grand-mère Madeleine, professeur pour l’IDHEC au Niger et en Côte d’Ivoire pendant la période de coopération qui a suivi la décolonisation française, pour revenir sur une période de liberté retrouvée par son aïeule après son divorce. Elle explore l’hypothèse d’un amour entre Madeleine et Abdou, le boy qui a servi de père de substitution à Félicie, la mère de la réalisatrice alors petite fille pétillante en exil…

Les armoires limougeaudes

Lisa Reboulleau exhume des archives de l’INA pour construire le récit d’une femme trompée puis abandonnée par son mari à Limoges en 1958. Des premiers doutes dans sa relation conjugale jusqu’au départ de Renée et ses enfants à Marseille, c’est toute une vie qui est chamboulée et vacille…Un drame terriblement ordinaire dont la portée est néanmoins universelle.