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Place Tahrir - 10 ans déjà

Tahrir- Jeune manifestant © Jour2Fête
Du 25 janvier au 11 février 2011, les Égyptiens connaissent une émulation sans précédent sur la place Tahrir au Caire. Aspirant à précipiter la chute de Hosni Moubarak, dictateur au pouvoir depuis 30 ans, les manifestants ont la revendication de franchir le seuil de la démocratie. Que s’est-il passé depuis ?

 

Alors que le 25 janvier 2021 sonne la cloche de l’anniversaire de l’occupation de la place Tahrir, le président actuel Abdel Fattah al-Sissi finalise sa réhabilitation. Désormais, un obélisque entouré de 4 sphinx, d’un parking, de bacs de fleurs et de palmiers donne une vocation plus touristique et moderne à la place.

La révolution n’avait plus droit de cité dans les médias ni dans les livres et, désormais, ses traces sont effacées de l’espace public. C’est donc avec émotion que le film de Stefano Savona Tahrir, place de la Libération (2012) donne à (re)voir cette immense foule en colère, soudée et vibrante, exultant dans la liesse, scandant des slogans d’une seule voix pour “dégager” Moubarak.

Les Égyptiens, dans le souffle de la révolution en marche, ne pensaient pas encore à la reconstruction du pays, ils voulaient simplement faire table rase du passé. Islamistes comme libéraux partageaient cette même vision. L'armée elle-même a fini par rejoindre les manifestants et déposer les armes.

Quelles transformations profondes a apporté ce soulèvement ?

Le film Je suis le peuple (2014) donne le point de vue de Farraj sur les premières élections présidentielles du pays en 2012 suite à la destitution de Moubarak. Farraj est un paysan dont les champs sont situés non loin de Louxor. Sa vie est très éloignée du tumulte de la place Tahrir et de la capitale. Et pourtant, même dans les campagnes, on se met à réfléchir à l'avenir politique du pays. Il faut penser aux suites à donner à la révolution. Selon Farraj, l’Egypte est encore “en maternelle” à l’école de la démocratie. Le film d’Anna Roussillon exprime tout à fait comment cet apprentissage est difficile. Farraj vote pour le représentant des Frères musulmans, Mohamed Morsi et ne se satisfait pas vraiment de ces premières élections libres.

Et après 2012 ?

Qu’est devenue la jeunesse connectée ayant allumé les premières étincelles de la Révolution ? Ses espoirs ont été balayés, pris en étau entre les deux principales forces du pays : les Frères musulmans et l’armée. Morsi, le premier Président élu démocratiquement, est destitué par un coup d’Etat en 2013. Le Maréchal al-Sissi musèle peu à peu les oppositions, islamiste ou libérale. Journalistes indépendants, personnalités du monde politique ou culturel, associations de lutte et ONG, tous sont désormais condamnés au silence ou à l'exil. Le nouveau pouvoir a ses propres rêves de grandeur, mise sur les infrastructures pour relever l’économie de son pays : par exemple la construction d’une nouvelle capitale en plein désert, de sept fois la taille de Paris. En septembre 2019, plusieurs milliers d'Egyptiens prennent à nouveau le risque de manifester quand ils constatent que la corruption est toujours endémique dans le pays.

Que deviennent les groupes d’opposition ?

Les régimes autoritaires qui se sont imposés suite aux printemps arabes, face à des groupes d’opposition désorganisés, ouvriront-ils la voie à de nouvelles révolutions, comme en Europe ? Les militants de la génération qui a connu l’occupation de la place Tahrir, bien que d’une grande lucidité vis-à-vis de leurs échecs, réfléchissent à établir un projet commun autour des mêmes thèmes qu’en 2011 : la lutte contre le despotisme, l’injustice et la corruption, mais en y ajoutant l’égalité homme-femme, la défense des droits humains et des libertés individuelles, la justice sociale, la protection de l’environnement... Les révolutions ne se font pas en un jour.