Tahrir, place de la Libération
Fin 2010, éclatait en Tunisie ce que l'on a appelé rétrospectivement le "printemps arabe", suite de mouvements populaires non-violents revendiquant dans plusieurs pays du Moyen-Orient et du Maghreb l'instauration de la démocratie et le partage des richesses. L'exemple du peuple tunisien, qui contraint le Président Ben Ali à fuir en Arabie Saoudite, constitue un électrochoc pour le monde arabe et notamment pour l'Égypte qui se soulève alors contre son dictateur, le général Hosni Moubarak, le 25 janvier 2011.
L'événement est pris très au sérieux par le cinéaste palermitain Stefano Savona, qui a récemment tourné dans sa ville, avec deux co-réalisatrices, un film documentant l'occupation de la mairie par des citoyens décidés à imposer par leur présence et leur parole une exigence de justice sociale, face à une municipalité peu portée sur la transparence. Il part au Caire dans les premiers jours du soulèvement et commence à filmer dès le 30 janvier, s'installant sur la place Tahrir (littéralement "place de la Libération"), une zone centrale de la capitale égyptienne occupée jour et nuit par la foule des manifestants, jusqu'au 12 février, lendemain de la démission de Moubarak. À chaud, et puis un peu plus tard à froid, lorsqu'il faut trouver au montage la matière d'un film, Savona se plonge tout entier dans le bain de foule géant d'une Égypte plus en liesse apparente qu'en détresse. La petite caméra numérique du réalisateur se faufile entre les groupes, dessine des arabesques tandis que son micro enregistre l'immense clameur d'un peuple qui construit son histoire en la vivant, minute par minute. Des personnages commencent à poindre, à prendre forme, à s'exprimer, à représenter de par leurs points de vue différentiés le long chemin qui reste à parcourir pour trouver l'accord parfait.
Sur la place, agora circulaire propre aux rencontres et aux échanges enflammés, l'Égypte rêve et construit son avenir. Revoir "Tahrir" dix ans après est une expérience très particulière pour le spectateur qui connaît la suite des événements : la prise du pouvoir par le parti islamiste, - espérée autant que redoutée par les insurgés - et le coup d'État militaire de 2013, qui ont tour à tour mis fin tragiquement aux rêves de libération des protestataires de la place Tahrir.