les yeux doc

À l’eau !

Traversées © DEMC.jpg
À la piscine, on se détend, on apprend, on affronte ses peurs. Dans cette micro-société aquatique, les individus les plus divers cohabitent et se parlent. Mais que se disent-ils ? Plongée sous la surface chlorée en trois documentaires, dont deux courts métrages, parfois drôles et toujours tendres.

La piscine est ludique, à vivre comme à filmer. Au contact de l’eau, dans le bruit assourdissant, chaque activité perd en sérieux, mais pas en difficulté. Car la piscine est aussi un lieu de défis : se confronter à la peur du vide en haut d’un plongeoir, affronter le regard des autres, apprendre à nager, ou encore rester propre malgré la précarité. En pénétrant dans des piscines publiques suédoise, française et belge, Le Grand Plongeoir, Traversées et Bains publics montrent des micro-sociétés où se croisent des individus d’une infinie diversité, tous vulnérables à leur manière.

Le Grand Plongeoir : on se jette à l’eau ?

Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck ont installé six caméras face au plus haut plongeoir d’une piscine publique suédoise – dix mètres, tout de même – et ont équipé l’endroit de plusieurs micros. Puis, ils ont demandé à plusieurs personnes d’y monter pour enregistrer leurs réactions face au vertigineux défi du saut.

Le film pose à ses personnages un pur dilemme moral : surmonter leurs craintes et sauter, mais risquer terreur et douleur, ou écouter leur peur et redescendre, mais faire face à la déception, voire à la honte ? Les procédés de mise en scène très efficaces, qui combinent notamment plans moyens fixes, split-screens, ou encore ralentis, font défiler les candidat·es et se concentrent sur leur prise de décision. Le hors champ visuel et sonore constitué par le bassin en contrebas, ses baigneur·ses innocent·es, et… nous-mêmes qui observons attentivement la scène, amplifie la solennité du moment. S’offre ainsi une étude du langage corporel – et du langage tout court – de celleux qui se sont risqué·es jusqu’au tremplin. Rien de voyeuriste, pourtant : la situation est si commune que l’on retient son souffle avec chaque nageur·se, quel que soit son genre, son âge ou son apparence. Le défilé en maillot de bain est même comique, succession de vulnérabilités rythmée par un découpage au cordeau dans un décor géométrique. Cette chorégraphie ludique de la valse-hésitation se conclut avec un lyrisme humoristique, rappelant que l’altérité réside dans la virtuosité, tandis que nous sommes fait·es de quotidiennes négociations entre nos possibilités, nos désirs et nos limites.

Traversées : entre deux eaux

Traversées s’ouvre sur une citation du chercheur et artiste queer Paul B. Preciado, avant que l’eau d’une piscine soit troublée par un corps en maillot une pièce, en plein crawl. « Je me sens dans une fluidité immense », dit une voix grave. « Tu flottes ? », demande une autre voix. « Je traverse. » La question de l’identité de genre est posée dans toute son instabilité.

Aman Le Goff accompagne Léon à la piscine, lieu de détente, mais aussi de défi, pour celui qui ne s’identifie pas comme fille, mais dont le corps en maillot de bain trahit encore l’assignation liée au sexe biologique.

Le film devient rapidement performatif : d’abord inquiet du regard des autres, Léon prend ensuite la caméra sur l’invitation d’Aman, ce qui lui donne le courage d’aborder de jeunes garçons pour évoquer la transidentité. La discussion, à la fois pleine d’a priori et d’une facilité désarmante, révèle la cohabitation de violentes constructions sociales et d’une évidente tolérance chez ces enfants, eux-mêmes en développement. La co-construction du film se prolonge jusqu’au dialogue final entre le réalisateur et son personnage, actant le genre non comme un état, mais comme une dynamique relationnelle.

Bains publics : la vie aquatique

Kita Bauchet nous offre une immersion dans la Piscine du Centre, à Bruxelles. Du matin au soir, les deux bassins, les douches publiques et la salle de sport se vident et se remplissent, sont nettoyés et utilisés. Certaines personnes nagent pour se détendre en autonomie, d’autres viennent apprendre ou s’entraîner avec des moniteur·rices ; d’autres enfin, prennent une douche moyennant 2,50 €, et conservent ainsi une estime de soi souvent mise à mal par leur précarité.

Relié·es par l’eau qui circule à tous les étages, les usager·ères cohabitent sans se croiser, dans cette micro-société moins égalitaire qu’elle n’y paraît. Iels bénéficient toutefois sans distinction du bienveillant soutien des salarié·es de la piscine, conscient·es de la frontière fragile entre loisir aquatique et service social. Tous·tes sont également magnifié·es par les cadres soigneux de Kita Bauchet, et par l’attention qu’elle leur porte dans un moment de détente et de dignité.

Pour aller plus loin

Télécharger des supports pédagogiques sur Le Grand Plongeoir sur le site du Kinétoscope
Lire l’entretien avec Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck sur Le Grand Plongeoir pour le Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand 2017
Regarder l’entretien avec Kita Bauchet sur Bains publics, par Cinergies.be :