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Une vie contre l'oubli

Une vie contre l'oubli

Presque inconnu en France, le journaliste et réalisateur André Dartevelle a été une personnalité importante de la télévision outre-Quiévrain, un grand reporter de la Radio-télévision belge (RTBF), un homme « en résistance », filmé au crépuscule de sa vie, occupé à la rédaction de ses mémoires, qu’il dicte ("Si je meurs un jour. Mémoires". Éditions du Cerisier, 2015).

La réalisatrice Kita Bauchet a fait le choix de donner la première place au travail de Dartevelle, à travers de nombreux et longs extraits qui sont commentés par le réalisateur et participent de la dramaturgie du film. Des proches et des compagnons de route (Hugues Le Paige, Luc Dardenne) viennent aussi témoigner et parler du contexte des années 1970 et 1980, quand la RTBF pouvait s’enorgueillir d’une réputation de tête chercheuse, ouverte à tous les sujets, indifférente à « l’audimat ». C’est dans cette ambiance de liberté, favorisée par l’évolution rapide des matériels de tournage (caméras légères et son synchrone) que Dartevelle multiplie les déplacements sur le terrain, au plus près de la vie des ouvriers et ouvrières wallons (extrait de "Une femme, des machines"), aux côtés des grévistes, dont il suscite et recueille la parole. Son cycle de la parole ouvrière s’achève sur la dénonciation du chômage et de la pauvreté (extrait de "Chômeur, pas chien !"). À partir de 1975, il part au Proche-Orient comme reporter de guerre, collaborant avec le cinéaste palestinien Michel Khleifi (extrait de "La Route d’El Naïm"). Enfin, il se tourne vers le passé, réveillant la mémoire de l'occupation allemande de la Belgique et de l’engagement de son père, torturé par la gestapo dans une cave à Bruxelles (extrait de "À mon père résistant").

Très engagé et doté d'une grande sensibilité, Dartevelle dévoile les contours de sa méthode d’approche des "acteurs" de ses films : « J’essayais d’établir entre nous une secrète entente, une connivence qui passe non seulement par les regards, mais aussi par une certaine musicalité de la voix, comme si je les prenais par la main pour les attirer vers moi. » Une belle profession de foi pour un beau parcours à l’intérieur de la télévision belge d’hier.

L'avis du bibliothécaire

Membre de la commission nationale coordonnée par Images en bibliothèques

Le film évoque la vie et l’oeuvre du documentariste belge Louis Dartevelle, à partir d’entretiens avec celui-ci avant son décès en 2015, de témoignages de ses compagnons de travail et d’extraits de ses films. Un portrait réussi de ce cinéaste humaniste, très peu connu en France, qui s’est attaché toute sa vie à filmer du côté des opprimés, les ouvriers en lutte dans ce qu’il a appelé le Cycle de la parole ouvrière (son but avoué en filmant les conditions de travail et les conflits des années 70 est de contribuer à changer les choses, il parle de films d’intervention), les immigrés relégués dans des bidonvilles dans la France des années 70 qui luttent pour des conditions de vie décente, les civils palestiniens victimes des conflits du Moyen-Orient en Palestine et au Liban dans les années 70 et 80, les femmes françaises contraintes de se rendre à l’étranger pour avorter avant la loi Veil, les SDF de la Gare Centrale de Bruxelles dans les années 80. Le documentaire donne vraiment envie de découvrir les films d’André Dartevelle, documentariste d’une très grande humanité, accordant une attention rare aux personnes qu’il filme. Une belle découverte !

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