Marée noire et colère rouge
Le 16 mars 1978, le pétrolier supertanker Amoco-Cadiz coule au large de Portsall, petit port du Finistère nord, déversant 230 tonnes de mazout dans l’océan. Marée noire et colère rouge déconstruit la campagne d’information qui a suivit l’accident et révèle ses conséquences désastreuses pour l’environnement.
Sous le sable, le mazout. Si toute vérité est bonne à dire, elle n’est pas nécessairement bonne à entendre. Appelé une fois de plus par les citoyens via la structure de production UPCB (Unité de production cinéma Bretagne), le cinéaste René Vautier devient le héraut militant de l'écologie. Son intervention prend pour cible la désinformation des responsables du monde politique, économique et médiatique sur la marée noire. La voix over de Vautier commente et analyse sur un montage cadencé les causes, terribles, et les conséquences, massives, de la catastrophe sur le littoral breton. Vautier dénonce les failles et manquements du plan de gestion de la crise : technocrates incapables, solutions court-termistes prises sans concertation, appât du gain des entreprises libérales de sauvetage, etc. Il dénonce les effets d’annonce et l’immobilisme des politiques face à la mainmise des multinationales et de l’économie de marché. Il dénonce enfin les dangers du benzène, l'hydrocarbure constituant le pétrole de l’Amoco-Cadiz. Mais Vautier relaie surtout la voix de ceux dont la vie est en suspens : pêcheurs de coquillages, d’algues et de poissons, petits commerçants tout juste installés, dont les dettes s'accumulent.
Devant la caméra se retrouvent étudiants, scientifiques, écologistes et habitants. Appelés à nettoyer les plages bénévolement, ces irréductibles bretons expriment leur colère et leurs peurs concernant les conséquences de la marée noire sur leur environnement, leur santé et leurs conditions de vie. Des manifestants scandent dans la rue : “Radio, télé, informations bidons” ou encore : “Nous sommes tous des pingouins mazoutés”. Leurs voix dialoguent avec celle enjouée d’une fausse speakerine de télévision, annoncée par un jingle télévisuel. Cette compilation d’éléments de langage ressassés par les médias apporte une touche humoristique au récit mais ne retire rien à la diatribe, façon Afrique 50. Si Vautier insiste sur les images du cormoran mazouté, ayant marqué les médias, il signale surtout que l’oiseau a détourné la presse de la réelle détresse des habitants. Marée noire et colère rouge part donc à la conquête d’une autre vérité que celle proposée par les médias ou les politiques. Le film, invisible à la télévision, inspira d’autres militants à l’occasion de nouvelles marées noires pour revendiquer le principe de “pollueurs = payeurs”. Ces images ont permis d’attester des dégâts et de réclamer réparation auprès des tribunaux et des autorités. Au regard de la crise écologique en cours, le film n’a malheureusement rien perdu de son urgence.