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Sida : faire face aux préjugés

Le Fardeau © Andana Films
Depuis les premiers cas constatés en 1981, le VIH a fait plus de 44 millions de mort·es et infecté plus de 91 millions de personnes. Le Fardeau suit deux malades centrafricain·es, Rodrigue et Reine, durant deux ans et demi. Une manière de rappeler que la maladie n’a pas disparu, que la stigmatisation des personnes séropositives est toujours d’actualité et que le vaccin n’est pas à l’ordre du jour alors que se déroule, comme chaque premier décembre depuis 1989, la Journée mondiale de lutte contre le sida.

L’Afrique subsaharienne paie un lourd tribut au sida depuis le début de l’épidémie, et les politiques de santé publique menées sur ce continent dépendent largement de l’aide humanitaire internationale. ONUSIDA visait la fin des contaminations en 2030 mais, en 2025, le gel par les États-Unis du Plan d’urgence présidentiel de lutte contre le Sida (PEPFAR) et les coupes drastiques dans leur contribution à l’aide internationale rebattent les cartes.

Malgré la mobilisation des pays les plus touchés, la baisse de l’aide internationale pourrait causer 8,7 millions de nouvelles infections et plus de 6 millions de morts en quatre ans, à travers le monde (chiffres ONUSIDA).

Ériger une croix et porter la sienne

Le Fardeau commence alors que Rodrigue et Reine érigent une grande croix chrétienne en pleine nature, puis implorent une guérison. Déplacer cette lourde croix n’est en effet rien comparé au fardeau qu’iels portent : tous·tes deux sont atteint·es par le VIH. Accablé·es par cette maladie et très croyant·es, iels supplient Dieu de leur accorder un miracle. Leur cheminement les amènera à sortir du secret et briser l’omerta, en parlant devant leur communauté.

Libérer la parole

Suivre le quotidien de deux personnes séropositives en Afrique est rare, car annoncer sa séropositivité y entraîne souvent le rejet de la famille et de la communauté. Considérée comme une honte par certain·es, elle est vécue par d’autres comme une punition divine. C’est le discours qu’entretient le pasteur de l’Église évangélique du Réveil, à laquelle appartiennent Rodrigue et Reine. En plus de leur combat contre la maladie, Le Fardeau montre leur courage face à ces préjugés. La relation de proximité et de confiance entre les protagonistes et le réalisateur décuple leur volonté. Tandis que Reine, héroïne du quotidien, tient sa famille à bout de bras, l’urgence de dire augmente à mesure que la maladie de Rodrigue s’aggrave. L’effort que représente cette libération, cette honte balayée, équivaut peut-être au miracle attendu : en levant un tabou, terreau de la stigmatisation, il autorise un autre regard sur la maladie.

Le VIH et la religion

Un pur procès contre la religion aurait masqué la complexité des problématiques en présence. Si Elvis Sabin Ngaïbino montre bien l’emprise du religieux sur les personnages, il souligne également, sans surplomb, l’importance de la foi, structurante pour leur communauté, créatrice d’espaces de solidarités, force de résistance face à un État dysfonctionnel. Comme lorsqu’il filmait des Pygmées dans Makongo, le réalisateur montre ainsi avec subtilité certaines réalités de son pays tout en accompagnant des populations stigmatisées, et fait confiance aux spectateur·rices occidentales pour prendre part au dialogue culturel qu’ouvrent ses récits documentaires.