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Habitat / Habitant

Derniers jours à Shibati
Il y a des lieux qui inspirent les cinéastes, des lieux en mutation, inhabités, des lieux qui s'adaptent aux mouvements des hommes ou inversement. Ainsi, les liens entre paysages et humains prennent corps sous l’œil de la caméra.


C’est peut-être dans la réalité dont ces cinéastes témoignent que surgira le réel, ce point de jonction qui fait basculer la réalité et qu’Alain Bergala, critique de cinéma, appelle l’effraction du réel. Les cinéastes viennent capter et inscrire ce qui se trame entre ces cadres de vie et les hommes et femmes qui y habitent. C’est cette relation que nous vous proposons de découvrir à travers les films sélectionnés.

Transformation, destruction, privation

Comment accepter la destruction de son habitat quand ce n’est pas seulement l’endroit où l’on vit mais celui où l’on a vécu, quand l’histoire de sa vie est palpable dans les pièces de la maison et qu’entre chaque mur vivent encore des souvenirs auxquels se raccrocher après le départ d’êtres aimés ? Dans L’Ange de Doel de Tom Fassaert, c’est ce besoin impérieux qui conduit Emilienne à résister au rouleau-compresseur qui détruit son quartier, seule contre tous. Le choix du noir et blanc sublime et ancre ce combat dans une sorte d’intemporalité salvatrice. 

Dans Derniers jours à Shibati c’est la rencontre et le voyage qui amènent les spectateurs à déambuler à travers ce quartier en survie, perdu au milieu d’une mégapole chinoise déjà en mutation. Le cinéaste est ici à notre image, nous avançons ensemble dans ce dédale insalubre mais si vivant et incarné. L’enfant, la vieille femme, le coiffeur, les personnages sont ici d’une force incroyable face à la destruction de leur habitat qui suit inexorablement le cours de l’évolution d’une Chine en pleine gloire économique où peu à peu les grattes-ciel viennent remplacer les quartiers populaires, quitte à distendre le lien entre les habitants.

Reconstruire, être acteur du changement, quand sa maison est terrassée par une catastrophe naturelle. C’est que vit la famille Lê dans Jours de pluie d’Andreas Hartmann. Ces villageois vietnamiens bravent les facéties météorologiques pour ré-investir leur environnement. Ainsi plusieurs générations cohabitent dans un monde rural qui oscille entre bureaucratie et croyances ancestrales.

Et puis il y a ces êtres en marge, esseulés, isolés, qui ont dû quitter les routes habituelles pour se frayer un chemin de vie comme ils pouvaient, où ils pouvaient. Gianfranco Rossi filme dans Below Sea Level des hommes et des femmes en rupture avec une société qui les a rejetés. Cela se passe aux Etats-Unis, dans le désert situé à quelques kilomètres de Los Angeles où les solitudes se font écho et tentent de se répondre pour se reconstruire autrement dans un autre paysage, désertique celui-là, avec peut-être l’idée que le sable et la chaleur seront plus accueillants que les cités qu’ils ont quittées.

Tandis que le film émouvant d’Alexe Poukine retrace le parcours d’un homme pris par la rue. Dormir, dormir dans les pierres donne une vie, un passé, un visage à l’une de ces ombres que nous croisons tous les jours et qui finit par se faire absorber par le bitume dans l’indifférence, un de ces hommes qui habitent là où ne vivons pas, où nous ne faisons que passer.