« Le Japon commence et s’achève / avec le Japon. / Personne d’autre ne connaît / l’histoire. / … Poussière japonaise/ dans la voie lactée. (Tokyo, 18 mai 1976) »
Richard Brautigan, Journal japonais (Le Castor astral, 2016)
Pour essayer de comprendre un peu, un tout petit peu, le pays du soleil levant, peut-être convient-il de marcher sur les traces de l’artiste, réalisatrice Naomi Kawase (Caméra d’or à Cannes en 1997) à laquelle Le Centre Pompidou consacra une rétrospective du 23 novembre 2018 au 7 janvier 2019. Cinéaste du détour et de l’inachèvement, Naomi Kawase, écrit son œuvre selon deux lignes parallèles : fiction et documentaire. Ses films documentaires, tournés en 16mm, vidéo et super 8 prennent la forme de journaux intimes, d’essais filmiques, de poèmes visuels. Son attachement au Japon traditionnel, qui s’incarne dans sa pratique quotidienne de la calligraphie depuis l’école maternelle, lui permet de créer des récits hypnotiques où se côtoient recherche de l’harmonie entre les hommes et les dieux, modernité, transmission, legs du passé et regard vers l’avenir.
Une autre forme d’exclusion est abordée dans Épouse, fille, mère qui documente, entre réalité et fiction, les réponses à la solitude sexuelle d’hommes d’âge mûr qui se sentent trahis par le Japon d’aujourd’hui. N’arrivant plus à être reliés aux traditions millénaires de leur civilisation, ils vivent en reclus avec des love dolls, des poupées gonflables aux allures et aux yeux écarquillés des adolescentes des mangas. Le film co-réalisé par Kaori Kinoshita (née à Tokyo en 1975) et Alain Della Negra (né en France en 1975) décrit avec acuité l’émergence de sentiments aux lisières de l’inanimé/du mécanique et de l’animé ainsi que la fascination morbide pour les représentations d’humains allant jusqu’à la mise en place d’un rituel funéraire.
La culture japonaise est obsédée par la mort et le suicide. Blaise Perrin concentre ses recherches sur le Japon depuis 2012. Son film La ronde suit l’action de prévention des suicides mené par Yukio Shige, policier à la retraite, sur les falaises volcaniques de Tojinbo, petite station balnéaire très touristique de la côté nord-ouest du Japon où, dit-on, les couchers de soleil sont magnifiques. Tojinbo est aussi la deuxième ville du Japon pour les suicides.
« 18h. Après ma cigarette, je ferai la dernière ronde de la journée, la plus stressante, la plus délicate et la plus décisive. C’est le moment où apparaissent ceux qui viennent à Tojinbo pour mettre fin à leur existence ».
Yukio Shige est un veilleur, un humaniste qui apparaît seul dans la mission qu’il s’est assignée et qui, après lui, n’aura peut-être pas de continuateur. Blaise Perrin fut lauréat, en 2020, de la Villa Kujoyama. Son projet de résidence dans cet établissement artistique français à Kyoto, prolongement de son film La Ronde, donnera voix et visage aux personnes sauvées par Yukio Shige.
Gilles Laurent, mort lors des attentats de Bruxelles en mars 2016, vivait à Tokyo. Son amour du Japon le poussa à réaliser La Terre abandonnée dont il fit les repérages avec Reiko, sa femme. Gilles Laurent filme Tomioka cinq ans après la catastrophe de Fukushima, la nature, le rythme des saisons, la lumière de ce territoire à jamais meurtri par un accident nucléaire majeur. Cependant des irréductibles, parfois très âgés, sont revenus sur la terre de leurs ancêtres, là où ils sont nés. Ils vivent dans la conscience sereine de leur mort annoncée et inéluctable du fait de l’exposition massive aux radiations. Dans un grand respect des personnes filmées, La Terre abandonnée pose la question vertigineuse de la santé, de la survie face au désir décidé de rester, malgré tout, sur un petit morceau de terre qui représente le lien au monde.