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Avant que le ciel n'apparaisse © Les Films d'Ici

Avant que le ciel n'apparaisse

Une horde de chevaux à moitié sauvages, des historiens qui chantent des chants de la guerre coloniale contre l’Empire russe, des jeunes qui dansent sur la place publique, des villageois qui se bricolent leur musée: tout un peuple qui se souvient dans une petite république du Caucase.

Et tout au long, le peintre Rouslan Tsrimov nous guide dans la manière de vivre et la forme de pensée des Nartes, ancêtres mythiques, telles que la rapporte leur épopée. Rouslan Tsrimov peint, et écrit, pour donner à voir quelque chose dans la nuit. Cette nuit, c'est celle qui est tombée sur le peuple tcherkesse au mitan du dix-neuvième siècle, quand l’armée impériale russe a fini par faire capituler ce peuple de guerriers du Caucase Nord, qui fut l’un des derniers à résister à la guerre coloniale.

La torche qui met un peu de lumière dans la peinture et dans les mots, c’est le mythe ancien qui, sous forme d’épopée, donna à ce peuple son imaginaire, son identité, sa morale. Cette épopée des Nartes, «noyau de la manière de vivre» des Tcherkesses, il s’agit pour Rouslan Tsrimov et quelques autres de la faire survivre par les moyens de l’interprétation: dans le geste du peintre, il y a la pointe extrême d’un mouvement impulsé par le récit des origines, la preuve durement gagnée d’une continuité possible à travers le néant des guerres et de l’extermination.

La mise en œuvre modeste et limpide du film de Denis Gheerbrant, qui, avec Lina Tsrimova (la fille de Rouslan, poursuivant elle-même des recherches sur la guerre du Caucase), recueille sobrement les récits, est une sagesse symétrique à celle de ces gardiens de la mémoire. C’est cette continuité, redevable au travail de Rouslan et des autres, qu’il s’agit d’observer dans la parole et dans les paysages immémoriaux où elle est recueillie, comme dans les pages d’un livre qui, lentement déplié, forme l’image poignante du fil fragile par lequel la mémoire se maintient.

[Extrait du catalogue Cinéma du réel 2021]

L'avis du bibliothécaire

Thierry Barriaux, Bibliothèque Oscar Niemeyer, Le Havre
Membre de la commission nationale coordonnée par Images en bibliothèques

Pour ce voyage chez les Tcherkesses, peuple caucasien ayant subi de nombreuses répressions en un siècle et demi, Denis Gheerbrant choisit de suivre l'artiste Rouslan Tsrimov dans son travail polymorphe de restitution et d'interprétation de l'œuvre fondatrice de leur culture, L’Épopée des Nartes. Il offre ainsi un précieux écrin à la revendication déployée par tout un peuple (artistes, mais aussi historiens, jeunes chantant et dansant sur la place publique, villageois recueillant dans un musée bricolé souvenir des défunts ou des modes de vie passée...), de conserver celle-ci vivante alors que d’aucuns préféreraient la voir figée dans les livres d’histoire. Et délivre dès lors, dans un montage d'une grande limpidité, un message proprement universel : un peuple ne cesse d'exister tant qu'il s'autorise la voie à la parole.

+ d'infos

Lire le dossier Denis Gheerbrant, des relations documentaires sur Balises, le magazine de la Bpi incluant de nombreux entretiens. 
Dans la sélection Denis Gheerbrant, Marc Isaacs. Double rétrospective
CANALREEL : Discussion avec le réalisateur Denis Gheerbrant autour de son film Avant que le ciel n'apparaisse (sélection française Cinéma du réel 2021) :

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