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Village de femmes © La Huit

Village de femmes

Lichk est un village arménien où résident des femmes, des enfants et des personnes âgées et où les hommes partent neuf mois par an en Russie pour travailler.

C’est un village comme beaucoup d’autres en Arménie que Tamara Stepanyan découvre un peu par hasard en faisant des repérages dans la région de Gegharkunik, au nord-est du pays. Cette région de lacs, limitrophe de l’Azerbaïdjan et du Haut-Karabagh, essentiellement rurale, a attiré l’attention de la réalisatrice plusieurs années auparavant, quand les journaux ont publié des reportages sur les villages arméniens désertés par les hommes en âge de travailler. Comme dans les contes traditionnels, la nouvelle venue est accueillie à Lichk par les enfants et suit l’un d’eux jusque chez sa mère, où elle est invitée à prendre le café, première étape du lent processus de maturation du film, qui va se construire au fil des saisons, parallèlement à une quasi-assimilation de la réalisatrice à la communauté villageoise.

Cette relation simple et fluide, cette proximité dans laquelle la caméra vient s’immiscer sans la fragiliser, au terme d’un an de visites amicales régulières, irrigue le film d’un bout à l’autre et garantit l’authenticité des propos et des situations. Pour une raison qui, le temps passant, a perdu de sa pertinence mais que personne ne remet en question, les hommes continuent à partir chaque année en Russie construire des routes et ne reviennent chez eux que pendant les mois d’hiver. La caméra enregistre avec pudeur les retrouvailles et les échanges, emprunts de gêne, de couples parfois mariés depuis de nombreuses années et qui n’ont jamais eu le temps de faire connaissance. À l’issue de cette période d’intimité familiale, les femmes retrouvent leur solitude, qu’elles combattent avec des chants et des danses lorsque le travail leur en laisse le loisir. Leur vie, elles l’auront passé à attendre, à s’inquiéter, à prendre à bras-le-corps l’avenir de leurs familles et de la communauté en cultivant les terres, élevant le bétail, préparant la nourriture et assurant toutes les tâches quotidiennes nécessaires. Existence ingrate et regrets éternels pour certaines de n’avoir pas vécu, d’avoir été sacrifiées sans raison. Les vieux du village, auxquels Stepanyan fait une large place dans le film, ne disent pas autre chose lorsqu’ils comparent l’Arménie au tiers-monde et qu’ils regrettent ouvertement la période soviétique où, au moins, « le gaz et l’électricité étaient gratuits ».

L'avis de la bibliothécaire

Delphine Ledru, Bibliothèque Mériadeck, Bordeaux
Membre de la commission nationale coordonnée par Images en bibliothèques

A Lichk, village isolé d’Arménie, les hommes partent travailler en Russie et ce sont donc les femmes qui assurent les travaux des champs, s’occupent du bétail et prennent soin des enfants et des proches âgés. Comme dans son précédent film « Ceux du rivage », Tamara Stepanyan filme ici encore l’attente. Celle de ces femmes est simplement rythmée par le lent passage des saisons et se répète pour certaines ainsi depuis des décennies. Les hommes qu’elles attendent toute leur vie durant, elles ne les connaissent pourtant parfois que très peu puisqu’ils ont dû partir quelques mois seulement après le mariage et ne rentrent chaque année que pour un court moment… La réalisatrice a passé une année entière à filmer ces femmes, ce qui lui a permis de gagner leur confiance pour nous transmettre avec beaucoup de délicatesse leurs confidences. Tamara Stepanyan nous donne ainsi à voir le touchant portrait d’une incroyable communauté de femmes.

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