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La Goumbé des jeunes noceurs

La Goumbé des jeunes noceurs

Après la Guerre, Jean Rouch, ingénieur des ponts et chaussées et ethnologue, apporte une petite caméra lors d'un voyage sur le fleuve Niger pour filmer la richesse et la poésie de ce qui s’appelait alors l'Afrique occidentale française. Il quitte bientôt le fleuve, les falaises et la brousse dans le but d'enquêter sur les migrations des peuples d’Afrique de l'Ouest.

L'Afrique connaît à cette époque une véritable explosion urbanistique. L'accès à la modernité bouleverse les habitudes dans les villes, dont les habitants ne connaissaient pas pour certains l'existence du macadam. Quelques années plus tard, après son film de fiction Moi un noir (1958), Jean Rouch pose sa caméra dans le quartier animé de Treichville, à Abidjan. Il filme cette fois une place publique où ont été convoqués les membres de l’association "La goumbé des jeunes noceurs". Les personnes présentes sont parties des campagnes pour tenter leur chance à la capitale. Comme Rouch l’a déjà montré dix ans auparavant, dans Les Maître fous, la transition n'est pas facile du village à la grande ville. Heureusement, des fraternités, les goumbés, maintiennent des liens solidaires entre les nouveaux arrivants et les aident à trouver un travail.

Le secrétaire général présente les membres du bureau, occupant tous des fonctions très diverses : chef de valets dans un grand hôtel, écrivain public, chef docker, blanchisseur,... Au fil des articles statutaires, sont égrenées les autres missions de l'association, jusqu'à la présentation des "tapeurs, chanteurs et danseurs". Les artistes quittent l'usine ou la vie domestique pour s’entraîner régulièrement à de nouveaux pas de danse et inventer de nouvelles chansons. Ce sont ces événements spectaculaires qui suscitent l'intérêt de l'ethnologue, car les artistes sont d'une énergie et d'une vivacité extraordinaires. Chaque samedi et dimanche soir, la Grande Réunion fait battre les cœurs des nouveaux habitants d'Abidjan. On comprend alors que les noceurs, au-delà de leur âge et du contexte urbain, n'oublient pas leur passé et cherchent à rester unis. Jean Rouch documente l'allégresse festive, rythmée et communicative. Sa caméra filme la pulsation de la vie nocturne. La ville est comme réveillée par les battements ancestraux des tambours des villages. On porte des costumes et des robes modernes: les traditions dans la joie et le jeu sont vivantes, au-delà des religions, des ethnies et des frontières.

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