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Chronique d'un été

Chronique d'un été

Tourné dans les rues de Paris pendant la douloureuse crise de décolonisation de l'Algérie, ce film est largement improvisé. Les personnages sont créés au cours du tournage sur la base d'une simple question : "Êtes-vous heureux ?" Montrant les rushes aux participants, Jean Rouch et Edgar Morin les invitent à approfondir leur propos.

Film pionnier du cinéma-vérité, baptisé cinéma direct outre-Atlantique, Chronique d'un été a été réalisé en 1960 par le sociologue Edgar Morin et le cinéaste Jean Rouch, grâce à une innovation technique majeure : le son synchrone. On utilise un magnétophone Nagra, couplé à une caméra 16mm légère, proche de celles que Rouch a utilisées dans les années 1950 en Afrique pour tourner des courts métrages ethnographiques post-synchronisés et surtout le long métrage fétiche de la Nouvelle vague Moi, un noir, qui décrit le quotidien de jeunes Nigériens partis chercher du travail à Treichville (Côte d'ivoire). Le projet et l'esprit de Chronique sont assez proches de ce dernier film, à cela près que le son est maintenant pris sur le vif et que les deux auteurs ont choisi d'enquêter sur la vie quotidienne des Parisiens. Mais Chronique, derrière sa spontanéïté, est un film-manifeste qui emprunte beaucoup à la pensée du sociologue. Depuis plusieurs années déjà, Morin s'intéresse au cinéma et à son importance dans le champ des sciences sociales. Il a publié plusieurs ouvrages et s'explique dans un article intitulé « Pour un nouveau cinéma-vérité » (France-Observateur n°506, 14 janvier 1960), il y pose les bases des principes qui vont inspirer le projet de Chronique, en se référant au concept de "Kino-Pravda" théorisé par le grand ancêtre russe Dziga Vertov. Le cinéma, pour lui, c'est d'utiliser une caméra pour rapprocher les hommes et pour rapprocher le filmeur du filmé : "La recherche du nouveau cinéma-vérité est du même coup celle d'un cinéma de la fraternité". Celles et ceux qui sont filmés se servent de la caméra pour exprimer leur "vérité profonde".

La question centrale du film, le bonheur, est sensiblement marquée par le contexte politique anxyogène de la guerre d'Algérie, qui a de fortes répercutions sur le territoire national. Les deux réalisateurs ont plus particulièrement cherché à mesurer la résistance de la jeunesse d'une grande ville, étudiants, artistes, employés et ouvriers mêlés, à un climat national et international plutôt morose. Sans savoir, et cela rend le film d'autant plus passionnant, que l'Europe de l'ouest est à l'aube d'un renouveau culturel de grande ampleur, dans le cinéma, la musique, la mode.., impulsé par cette jeunesse des années 1960. Parmi ces jeunes gens, on découvre avec curiosité des personnalités encore inconnues alors, Régis Debray et Marceline Loridan, compagne du réalisateur néerlandais Joris Ivens et réalisatrice elle-même.