Knit’s Island, l’île sans fin
Quelque part sur Internet existe un territoire de 250 km² dans lequel des individus se regroupent en communautés pour simuler un mode de vie survivaliste. Une équipe de tournage filme les joueur·ses de ce lieu, sous les traits d’avatars. À travers ces rencontres, Knit’s Island invite à poser un autre regard sur les mondes virtuels et interroge les visions de notre futur.
Un machinima — contraction de machine, animation et cinéma — est un film tourné à l’intérieur d’un monde virtuel ou d’un jeu vidéo. Apparu en fiction dans les années 2000, ce genre se développe aujourd’hui dans le documentaire, ravivant la porosité entre réel et imaginaire. Des internautes y incarnent des personnages et simulent des situations comme dans un jeu de rôle traditionnel, mais dans le monde ouvert d’un jeu vidéo en ligne. Les réalisateurs Ekiem Barbier, Guilhem Causse et Quentin L’Helgoualc’h ont choisi d’explorer l’un des serveurs du jeu DayZ. Pendant près de mille heures, l’équipe de tournage, dans la vie comme dans le jeu, s’attelle à une forme de cinéma direct virtuel.
Le lore de DayZ, c’est-à-dire sa mythologie ou son univers narratif, est composé d’un territoire naturaliste post-apocalyptique, soumis à de régulières attaques de zombies. Ce cadre rend possibles différentes stratégies, éprouvées dans les jeux et les séries The Last of Us et The Walking Dead : des joueur·ses se regroupent en clans, d’autres évoluent en solitaire ; il y a des assassin·es, des justicier·ères. Quand certain·es se préparent pour survivre à une catastrophe dans la vraie vie (« IRL » pour « In Real Life »), d’autres prennent le jeu comme un exutoire, un moyen de faire des rencontres ou passer le temps. Après des premières séquences allant du joyeusement pittoresque au franchement scabreux, les cinéastes accompagnent longuement plusieurs joueur.ses, pour mieux les comprendre et connaître davantage leurs aspirations.
Malgré son contexte de fin du monde, DayZ est composé de décors naturels. De petites villes émergent sur des collines, entre champs et forêts. Cette beauté éloigne les joueur·ses de leur quotidien et leur aère l’esprit, sinon le corps, une soupape d'autant plus précieuse que le tournage se déroule durant la pandémie mondiale de Covid. Rêver le réel en communauté : n’est-ce pas ce qui nous définit en tant qu’êtres humains ? Derrière les couleurs automnales de ce métavers, Knit’s Island développe une réflexion philosophique sur le jeu et le fait de se raconter des histoires. Le film montre la fragilité comme la force de celleux qui rêvent, au bord d’un monde qui n’existe pas, mais ressemble au nôtre.