les yeux doc

Coconut head generation 2 © Ajímátí Films

Coconut Head Generation

Tous les jeudis un groupe d’étudiants de l’université d’Ibadan, la plus ancienne du Nigeria, organise un ciné-club, transformant un petit amphithéâtre en une agora politique où s’affine le regard et s’élabore une parole critique.

Tous les jeudis soirs, l’Université d’Ibadan, grande ville du sud-ouest du Nigeria, abrite un ciné-club. Un lieu safe, où les étudiants et les étudiantes visionnent des films qu’ils prennent le temps de discuter. Dans ce ciné-club sont projetés des films pour parler intersectionnalité, décolonisation, luttes féministes, luttes LGBT, minorités ethniques du pays, droits des étudiants ou élections. Un lieu pour permettre à ces jeunes gens qu’on associe à la « Coconut Head Generation » d’affronter le monde et la société nigériane. Cette expression méprisante qui qualifie la jeunesse de paresseuse et abrutie, les étudiants se l’approprient en la détournant afin d’en faire une force et de revendiquer leur intelligence critique. Au gré des séances, de débats houleux en discours éloquents, les étudiants apprennent à se situer, à marquer leurs différences et à penser ensemble. La salle de cinéma devient un lieu d’éducation autogéré où l’on apprend à lutter et à s’organiser. D’abord très intérieur ­– l’université, la salle de cinéma –, le film s’ouvre quand le réel rattrape le cinéaste et les étudiants au travail. Alain Kassanda suit les révoltes étudiantes d’octobre 2020 qui éclatent contre les violences policières et les abus de la Special Anti-Robbery Squad, une unité de police anti-vol (#EndSARS). Alors que les étudiants regardent des films de Med Hondo, de Mahamat Saleh Haroun ou de John Akomfrah, ils deviennent les personnages d’un film de lutte. Le film les regarde s’ouvrir au réel et devenir les acteurs et les actrices d’un changement. Face au monde qui se transforme trop lentement, face à son histoire et ses violences, teacher, don’t teach me nonsense.

[Clémence Arrivé, Cinéma du réel, 2023]

L'avis de la bibliothécaire

Isabelle Grimaud, Bibliothèque publique d'information, Paris
Membre de la commission nationale coordonnée par Images en bibliothèques

Dans la veine du cinéma direct, Kassanda, réalisateur-producteur, documente la transformation d’un ciné-club d’université auto-géré par des étudiants en lieu de rassemblement et de débats sur la décolonisation, le genre, l’intersectionnalité, les élections,..(la question du terrorisme islamiste n’est pas discutée). C.H.G montre la force du cinéma qui fait d’un groupe d’étudiants politisés et obstinés une communauté où s’exprime l’intellectuel collectif. En 2020, après des mois de grève des universités fédérales, un mouvement social secoue la démocrature du Nigéria. La parole estudiantine révoltée devient performative. Quittant l’amphithéâtre du ciné-club pour la rue, elle dénonce la corruption, réclame la fin des violences policières et une meilleure gouvernance. Les images de cette mobilisation, violemment réprimée, sont documentées grâce au smartphone de Tobi Akinde, membre du ciné-club, cinéaste, chercheur. Images d’archives, d’internet, extraits de films, tournage caméra à l’épaule, utilisation du smartphone, servent une narration chronologique et plastique où vibre l’énergie de cette C.H.G, cette jeunesse têtue, résolument décidée à se battre pour un présent et un avenir meilleurs.

+ d'infos

Lire l’entretien avec Alain Kassanda sur le Blog Mediapart du Festival Cinéma du réel.

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