Portraits fantômes
Retratos Fantasmas
De son appartement familial aux salles de cinéma du centre-ville, le cinéaste brésilien Kleber Mendonça Filho dresse une cartographie sentimentale de Recife, sa ville natale. Entrelaçant extraits de films et archives documentaires, autobiographie et histoire locale, porté par la voix du réalisateur et la musique brésilienne, Portraits fantômes est aussi une déclaration d’amour au cinéma, qui fait dialoguer passé et présent et révèle le réel à travers la fiction.
Une placette villageoise, entre plage et mangrove, est surplombée par une église dans les années 1960, puis de nos jours engloutie sous les gratte-ciels. La séquence d’ouverture de Portraits fantômes pose le sujet : les transformations subies par quelques quartiers de Recife, vaste agglomération brésilienne, ville d’enfance et de cœur de Kleber Mendonça Filho. Il en a fait le décor de ses films de fiction et c’est à travers eux, entremêlés d’archives familiales, qu’il brosse le premier portrait du documentaire, celui de l’appartement dans lequel il a emménagé avec sa mère en 1979 et où il habite aujourd’hui encore. Le logis s’est métamorphosé au fil des ans et des travaux réalisés, à l’intérieur et alentours, racontant l’histoire familiale autant que l’évolution du quartier de Setúbal.
Suivant un fil autobiographique, Kleber Mendonça Filho explore ensuite les salles de cinéma emblématiques du centre-ville de Recife, qu’il a fréquentées ou dans lesquelles il a travaillé. Plusieurs ont fermé lorsque le centre économique s’est déplacé au sud de la ville, et il ne reste de ces bâtiments Art déco que des murs lépreux aux couleurs délavées. Des salles aux cabines de projection, Portraits fantômes arpente les lieux et le temps pour dresser du secteur une cartographie sentimentale en forme de palimpseste, soulignant les traces laissées par l’Histoire.
Le documentaire constitue une déclaration d’amour au cinéma par son sujet, mais aussi par sa forme. Au service d’un récit qu’il narre de sa voix douce à l’humour désabusé, Kleber Mendonça Filho entrelace avec délectation et poésie divers régimes de documents (films de fiction, archives documentaires, photographies, musique…), et célèbre en particulier la fiction comme archive sociale et politique du présent. Simultanément, sa déambulation l’amène vers une galerie d’absent·es – sa mère, un ami projectionniste – que les puissances fantasmatiques du récit cinématographique ramènent à la vie. Le cinéaste poursuit naturellement en assimilant l’expérience de spectateur·rice de cinéma à la transe religieuse, à même de convoquer les esprits. Kleber Mendonça Filho se matérialise finalement sur le siège arrière d’une voiture, dont le chauffeur se dit doté d’un pouvoir magique. Dans une révérence élégante teintée de surnaturel, le conducteur et son passager glissent à leur tour dans la fiction, en compagnie de leurs fantômes.