les yeux doc

L'Amour existe © Agence du court métrage

L'Amour existe

« Longtemps j’ai habité la banlieue. » Une voix dure s’élève, portée par un regard tranchant. Pendant dix-sept minutes, elle dit le béton, la grisaille, la promesse non tenue des cités nouvelles d’après-guerre. L’Amour existe (1961) de Maurice Pialat est un cri tardif, une errance poétique dans un nouveau monde quadrillé par l’ennui.

Le film traverse les paysages de la banlieue parisienne au mitan du siècle, où l’enfance s’étiole entre les rails et les usines, où les rues tracent des destins figés. Il déroule une géographie sentimentale d’une région en pleine mutation. Pialat capte ces visages anonymes, ces silhouettes solitaires perdues sur des trottoirs trop larges. Le noir et blanc sublime l’âpreté des lieux — Courbevoie, Pantin, Sarcelles, Vincennes — et amplifie la distance entre les corps et les âmes. L’urbanisme de l’après-guerre devait offrir du confort ; il n’a fait qu’ordonner l’existence, l’enfermer dans des cadres stricts, la cadencer d’un rythme monotone.

Le commentaire acerbe oscille entre constat et révolte, nostalgie et désillusion. La tendresse affleure pourtant, dans le rêve qu’offre le cinéma de quartier, dans le mélancolique souvenir de la campagne. Pialat, avant les colères de ses longs métrages, dessine déjà son cinéma : entre dureté et humanité, constat social et fièvre intime.

L’Amour existe n’est pas seulement un réquisitoire contre ces « paysages pauvres ». C’est aussi une déclaration d’amour aux êtres qui y survivent, à ceux qui, malgré tout, cherchent encore à éprouver quelque chose de vrai.

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