Zou
Avec une jambe en moins, Ahmad avance plus vivement qu’un homme valide. Sa jambe amputée, membre fantôme qu’il peut encore bouger dans sa tête, est le pivot de cette histoire. Sa jambe lui a fait perdre la grande partie de sa famille, l’a forcé à fuir son pays, a freiné son exode et lui rend la vie plus laborieuse. Sa jambe sera le point d’appui pour réussir son intégration en France.
L’existence d’Ahmad Shah, honnête et sympathique tailleur, est marquée par la guerre depuis son enfance. Par les missiles russes envoyés sur sa maison et plusieurs décennies plus tard, par les tentatives d’intimidation des Talibans, le groupe islamiste cherchant à reprendre le pouvoir du pays. Vivre dans la région est devenu trop risqué. Il décide donc de partir avec sa femme et leurs trois enfants vers le Pakistan, puis seul vers l’Iran jusqu’au Nord de la France, à Lille.
Malgré la violence, le déracinement et la solitude, Zou se distingue nettement de la plupart des films documentant la misère des migrants. À l’image de son héros, le film est avenant et généreux et se déguste comme une confiserie. En commençant par l’emballage. La réalisatrice plasticienne Claire Glorieux a imaginé pour le plus grand plaisir des yeux un univers fantaisiste intégralement fabriqué à la main, digne d’une miniature persane ou d’une maison de poupée. Ce magnifique écrin artisanal de papiers découpés, pliages, collages, tissus et photographies fournit un cadre bienveillant pour accueillir le témoignage d’Ahmad Shah et reconstituer les scènes de son récit, à la manière d’un diorama. Puis arrive le plaisir gustatif. Cette histoire révèle beaucoup de bonté, de sourires et de belles rencontres, notamment avec Gonzague, l’un des héros ordinaires de cette aventure humaine, qui a accueilli chez lui Ahmad Shah durant deux ans. Pour autant, loin d’être cousu de fil blanc, Zou retrace le difficile parcours des réfugiés et invite à réfléchir à tous ceux qui n’ont pas eu la chance de trouver une maison ouverte et une main tendue sur leur chemin dans l’attente de la régularisation de leur situation.
« Le découpage fait écho à l’amputation et à l’exil. La couture ou le reprisage évoquent la suture ou la réparation. » Claire Glorieux