les yeux doc

Soif (Laatash) © Elena Molina

Laatash

Soif

Des femmes sahraouies organisent la vie dans un camp de réfugiés de la wilaya de Tindouf (Algérie) en plein cœur d’une Hamada, plateau rocheux aride du désert saharien. Tous les jours, elles partagent entre les habitants les maigres rations d’eau livrées par camion, attendant patiemment que leur situation s’améliore.

Situé sur le littoral Atlantique, le Sahara occidental est bordé par de puissants voisins, l’Algérie qui le soutient, le Maroc qui le revendique et la Mauritanie. L’annexion de cette ancienne colonie espagnole par le Maroc en 1975 a entraîné la création d’un mouvement anticolonialiste indépendantiste sahraoui, le Front Polisario, toujours en lutte pour l'indépendance des terres et la reconnaissance d’un pays, d’un État. Pour survivre, poursuivre la lutte et préparer le retour, la République Arabe Sahraouie démocratique (RASD) s’est établie à Tindouf, dans le désert algérien. Ce sont plusieurs dizaines de milliers de réfugiés qui se sont installés là, tentant d’échapper à la guerre qui a fait rage entre 1975 et 1991. Actuellement, le conflit est toujours sous-jacent, malgré la signature d’un cessez-le-feu en 1991, qui a fait du Sahara occidental l’unique territoire d'Afrique dont le statut post-colonial reste en suspens.

En l’absence des combattants, les femmes sahraouies ont jeté les bases de la république en exil. Cette répartition des rôles, inédite dans l’Islam, s’est imposée par la force des choses et par le fait que dans les camps, la vie s’organise essentiellement autour d’enjeux domestiques comme l’accès à l’eau, l'alimentation, la santé et l’éducation. Les hommes ont laissé derrière eux leur place traditionnelle dans la société civile en abandonnant leurs activités de marchands ou de pêcheurs, pour rejoindre les forces armées de la résistance. Une situation particulière et durable qui permet d’expliquer pourquoi cette société arabe et musulmane est devenue l’une des plus progressistes sur le plan de l’égalité hommes-femmes.

C’est dans l’aride Hamada de la région de Tindouf que les Sahraouies ont fait jaillir l’eau, de façon quasi-miraculeuse car jusqu’alors personne n’avait pu vivre dans ce désert. Laatash donne à voir l’action de la communauté autour du Service de l'eau dans la sous-préfecture (daïra) d’Agti, notamment à travers le personnage d’Aziza, femme au caractère volontaire qui coordonne la distribution et le contrôle de la qualité de l’eau. Dans les mythes anciens, l’eau est associée à la vie et à la fécondité. Ici, l’eau est surtout synonyme de résistance : elle est essentielle à la survie et à la lutte du peuple. L’espoir de faire aboutir les revendications territoriales est toutefois très limité depuis que le Maroc a bâti un grand mur des sables de plus de 2000 km et que le conflit s'enlise. Le film d’Elena Molina, bref et percutant dans sa forme, ouvertement admiratif, convoque le singulier combat intersectionnel de femmes que l’on peut tour à tour ou simultanément appeler sahraouies, arabes, africaines, musulmanes, réfugiées et colonisées. Ou encore, comme dans tout mouvement indépendantiste et révolutionnaire, camarades.

L'avis de la bibliothécaire

Alexia Vanhée, BNF, Paris
Membre de la commission nationale coordonnée par Images en bibliothèques

De quelle(s) soif(s) parle-t-on ici ? D’emblée, Laatash mêle le concret au poétique, ne cessera d’aller de l’un à l’autre. Le désert et son éternelle quête d’eau sont d’abord convoqués par des récits mythiques, puis s’ancrent peu à peu dans un territoire précis, les camps de réfugiés sahraouis, au sud-ouest du désert algérien, souvent décrit comme inhabitable. Au sein de ces campements où les femmes jouent un rôle-clé, le film montre l'accès logistique à l’eau et sa distribution comme un enjeu d’autonomie. N’y aurait-il pas là un écho avec les revendications du peuple sahraoui ? En un format très court, Laatash parvient à évoquer sans pathos une situation humanitaire qui dure depuis 1975 tout en faisant goûter aux aspirations d’émancipation et de liberté de quatre générations de femmes éclatantes de débrouillardise et de dignité, dont la lutte dépasse la simple survie au jour le jour.  

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