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143 rue du désert © Météore Films

143 rue du désert

En plein désert algérien, dans sa buvette, une femme écrit son histoire. Elle accueille, pour une cigarette, un café ou des oeufs, des routiers, des êtres en errances et des rêves… Elle s’appelle Malika.

Seule dans une petite maison blanche au bord de la route nationale 1, la Transsaharienne, qui relie Alger à Tamanrasset en traversant l’immensité du désert, Malika, 74 ans, a ouvert un jour sa porte au réalisateur Hassen Ferhani, venu là en repérage avec son ami Chawki Amari, journaliste à El Watan et auteur du récit Nationale 1 qui relate son périple sur cet axe nord-sud de plus de 2000 kms. La Malika du roman d’Amari, que Ferhani avoue avoir d’abord perçue comme un « fantasme littéraire », prend tout à coup une épaisseur humaine insoupçonnée dans cet environnement naturellement hostile à l’homme. Elle se prête au projet du film comme elle accueille ses clients, avec une économie de gestes et de paroles qui lui donne un peu l’apparence d’un sphynx, impression renforcée par le mystère qui l’entoure et les rares éléments de sa biographie qui suggèrent qu’elle n’est pas originaire de la région, qu’elle a quitté le nord fertile de l’Algérie pour s’installer dans le désert où elle vit avec un chien et un chat.

Ferhani, accompagné d’un ingénieur du son, occupe les 20m2 de la maison et filme les murs de torchis, les fauteuils de jardin, le grand frigo et le stock de canettes, la petite table recouverte d’une nappe à fleurs sur laquelle s’accoude Malika et le ou la cliente du moment, qu’elle ausculte du regard et qu’elle caractérisera en deux phrases sans équivoque après son départ. Malgré le côté extrêmement dépouillé et rudimentaire du lieu, toute la société algérienne s’y arrête, routiers principalement mais aussi militaires, religieux, touristes, comme cette femme à moto venue de la lointaine Pologne. Aux scènes captées sur le vif s’ajoutent quelques belles fantaisies de mise en scène, parfois suggérées par Malika, comme la scène de son réveil dans les dunes. Car, si la caméra ne fait que de brèves incursions sur la route balayée par les vents et sur le passage régulier des camions chargés de marchandises, ce hors-champ que l’on devine nourri des mille et une histoires du désert vient puissamment irriguer la vraie vie rêvée de Malika, héroïne de roman et de cinéma.

L'avis de la bibliothécaire

Alexia Roux, Médiathèque Edouard Glissant, Le Blanc-Mesnil
Membre de la commission nationale coordonnée par Images en bibliothèques

143 rue du désert (2019) est dédié à une femme simple lentement révélé en gardienne mythique. Le portrait documentaire est doucement irisé des micro-fictions de Malika qui sont ses secrets autour desquels tourne le film comme autour d'un rond-point, tel un road-movie immobile. Entre un western de John Ford et un apologue de Straub et Huillet, la veilleuse algérienne incarne une tenue face au réel qui se prolonge dans l'immense réserve du hors-champ, l'autre nom du possible. La limite approchée dans un respect opposant au fantasme de la transgression une morale de l'affleurement appartient à une pure singularité qui est la mère de tous et de personne. Sans ostentation, Malika tient bon la barre de l'autre que la guerre intérieure a voulu faire sauter dans le court-circuit du sacré et de la virilité.

Après bien des tours et des détours, le désert refleurit. Le refleurissement n'advient pourtant qu'à partir de la blessure au flanc d'une reine sans couronne. Solitaire et mélancolique, la gardienne offre le Graal de son hospitalité à qui viendrait un jour en témoigner parce qu'il y a, dans un pays qui sort enfin de sa nuit, besoin de l'autre pour prendre la relève. Et comme Perceval, Hassen Ferhani est venu.

+ d'infos

Pour aller plus loin, lire l'entretien avec le réalisateur disponible sur Balises, le magazine de la Bpi

Consulter ci-dessous le dossier de presse du film, à lire, l'interview avec le réalisateur Hassen Ferhani ©Météore

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