Loin de vous j'ai grandi
Depuis longtemps, Nicolas vit séparé de sa famille, dans un foyer en Alsace. Quand il ne lit pas L’Odyssée en bande-dessinée ou qu’il ne joue pas dans les bois avec son ami Saef, le jeune adolescent de 13 ans retrouve parfois sa mère, Sabrina, pour un baptême, une virée à la fête foraine ou une grenadine.
Cinéaste et documentariste, Marie Dumora construit patiemment une œuvre considérable, à l’échelle de la vie humaine mais centrée sur un territoire bien délimité, l’Alsace-Lorraine. Cela fait 20 ans qu’elle filme le destin de deux sœurs, Sabrina et Belinda, rencontrées enfants dans un foyer d’accueil, et les personnages qui gravitent autour d’elles entre Mulhouse et Forbach. Loin de vous j’ai grandi évolue par allers-retours entre la petite enfance et l’adolescence de Nicolas, le fils de Sabrina, dont le baptême clôturait l'un des précédents films de Dumora, Je voudrais aimer personne (2008). Dans ce film, Sabrina exprimait devant la caméra sa difficulté à remplir son rôle de jeune mère de 16 ans. Quelques mois plus tard, elle devait placer Nicolas en foyer, vouant son fils à l’existence solitaire qu’elle avait elle-même connue. Le nouveau film propose une boucle, du baptême de Nicolas à celui de sa petite sœur, événement important pour la vie du garçon car Sabrina a créé autour de son deuxième enfant un nouveau cocon familial dont l’aîné est exclu. Marie Dumora filme les effets du temps et surtout, de la distance. Nicolas lui dévoile son monde intérieur depuis l’intimité de sa chambre, un monde auquel sa propre mère n’a pas ou peu accès.
Certaines familles ont pour mythe fondateur la tragédie et la rupture. Non loin du foyer où habite l’adolescent se trouvait un camp d’internement nazi dans lequel les arrières grands-parents de Nicolas ont été déportés pendant la seconde guerre mondiale en tant que membres de la communauté yéniche, une ethnie semi-nomade de l’Est de l’Europe. De la petite à la grande histoire, la trajectoire de Nicolas, émerveillé par les récits d’aventure d’Homère et de Jack London, devient une épopée moderne, comme si le nomadisme se transmettait à travers les générations. Le jeune garçon dévore les aventures d’Ulysse dans L’Odyssée et se sent prêt à traverser les mers, comme son ami Saef qui a émigré clandestinement jusqu'en Alsace. Le personnage mythique caractérise, encore une fois, le passage du temps. Nicolas, à son image, a grandi en exil loin des siens et devra trouver sa place dans sa famille et dans le monde.