Un pays qui se tient sage
Composé à partir du projet collaboratif en ligne Allo Place Beauvau ?, compilation de vidéos de manifestants blessés, pour lequel David Dufresne a reçu le Grand Prix du Journalisme en 2019, Un pays qui se tient sage mène une large réflexion sur le thème des violences policières qui a fortement marqué la société française depuis les manifestations spontanées du mouvement des Gilets jaunes à l’automne 2018.
En préambule, le film fait référence aux thèses bien connues du sociologue allemand Max Weber qui, en 1919, définissait l'État par le monopole de la violence physique légitime. À partir de cette perspective classique, sont successivement abordées et discutées les problématiques de la légitimité étatique, du rôle de la police, du devenir de la démocratie. Mais l’approche historique et scientifique cède très vite le pas à une démarche plus concrète, alternant des vidéos qui ont été filmées et diffusées sur Internet entre novembre 2018 et février 2020, et des commentaires de ces images, le plus souvent brefs, émanant d’hommes et de femmes représentatifs de la société française au sens large.
Écrivain, journaliste et réalisateur de documentaires multimédia, David Dufresne s’est intéressé de longue date aux problématiques du maintien de l’ordre. À partir du tremplin que lui ont offert Internet et les réseaux sociaux, il a voulu franchir une nouvelle étape dans son travail, en se tournant vers le cinéma. La masse de documents collectés sur Internet et les nombreuses rencontres faites à l'occasion de cette collecte ont permis d’alimenter le film en témoignages directs de policiers, avocats, sociologues, historiens et personnes d'horizons divers : plombier, cariste, chauffeur routier, mères au foyer... Le passage au format cinéma a accouché d’une œuvre vertigineuse. Sur l'écran, les cris, les explosions, le brouillard épais des fumées, le bruit surtout mais aussi les odeurs fortes et asphyxiantes que l’on croit sentir, créent une ambiance presque effrayante qui serre le cœur du début à la fin. Tranchant parmi les propos parfois techniques et lapidaires de professionnels, une femme gilet jaune vient raconter son calvaire («C’est violent»). Le film ménage alors un vrai moment d'écoute, en suspens, loin des idées reçues et du bras de fer des idéologies. Un moment où chacun voit et entend l’humanité blessée, à vif, dont la souffrance s’exprime crûment.
Malgré l'abondance des prises de parole, le film rappelle que beaucoup de personnalités ont refusé d’apparaître, voire n’ont pas répondu aux sollicitations. Une façon d’insister sur la difficulté à débattre de ces questions qui touchent à l’essence du politique et divisent fortement la population.