Ernesto Che Guevara, le journal de Bolivie
Le documentariste suisse Richard Dindo, fasciné par l’absence, comble dans ses films les vides laissés par le passage du temps grâce à un travail de reconstruction minutieuse du réel. C’est à partir des récits intimes de personnes malmenées par l’Histoire, ainsi que par les traces qu’elles ont laissées, qu’il élabore son récit. Après Arthur Rimbaud, Charlotte Salomon, Dindo redonne vie à Ernesto “Che” Guevara, plus de vingt ans après son exécution par l’armée bolivienne.
Après avoir été aux avant-postes de la révolution cubaine, Che Guevara espère, après plusieurs années de combats en Afrique, embraser le maquis bolivien. Du 3 novembre 1966 au 7 octobre 1967, El comandante raconte dans son Journal de Bolivie les étapes de son ultime guérilla, de Ñancahuazú à la Higuera, à la tête de l’Armée de libération nationale (ELN). La Bolivie fait partie des pays les plus pauvres de l’Amérique latine, elle est depuis deux ans sous le joug d’une dictature militaire que les guérilleros veulent déstabiliser. Mais rien ne se passe comme prévu. Isolés et traqués par des centaines de soldats, lâchés par le PC bolivien et Cuba, la petite troupe est peu à peu décimée. Les jours sont noirs et les doutes assaillent le “Che”, qui doit faire face aux difficultés du quotidien : la faim, la soif, le sommeil, la maladie.
Richard Dindo retrace l'itinéraire de ces combattants, devenu un chemin de croix, et revient sur les lieux d’une entreprise suicidaire par manque de moyens, soutiens, effectifs. Porteur de bonnes paroles, dénoncé et trahi, le “Che” apparaît à l’approche de la mort à dos d’âne devant les visages fermés et impassibles des paysans, usé par la fatigue, à bout de souffle. Au mythe du héros de guerre se substitue alors celui du martyr. Malgré les années, les Boliviens qui ont rencontré le messie révolutionnaire se souviennent de lui comme si c’était hier, prétendent que rien n’a changé depuis sa venue, se remémorent les discussions avec ces soldats anéantis mais n’ayant pas perdu foi en leur idéal. “On dirait que la civilisation n’est jamais venue jusqu’ici” disait Guevara. Comme le raconte Carlo Levi à propos de l’Italie méridionale, dans son roman autobiographique "Le Christ s’est arrêté à Eboli" (1945), il semble bien qu'au-delà de certaines frontières, en haut des pics, au bout des chemins, il existe des lieux abandonnés de tout et de tous, où le temps s’est figé. Le “Che”, lui, s’est arrêté à la Higuera, vaincu. Il a emporté avec lui les derniers souffles d’une utopie.