Journal de septembre
Un film fait d'objets, de visages et de textes ; de chats perdus, d'images glanées, de découpages, de recréations ; une subversion poétique sous forme de journal intime, qui fait éclater le calendrier en un roman, se déroulant sans relâche comme un voyage au bout du monde.
Dans un journal cinématographique, il est d’usage d’entendre la voix du réalisateur explorer ses pensées. Le narrateur de Journal de septembre est de prime abord silencieux. Les premiers mots du film sont rédigés à la machine à écrire. Titrage qui se répétera tout du long, une manière d’établir une chronologie, de chapitrer le film comme un roman. Septembre débute en musique. Dans plusieurs séquences, celle-ci invite à l'introspection et convoque un passé presque primitif, comme un écho des chants du monde. Ce n'est qu'au bout de dix minutes que la voix d'Éric Pauwels s’élève enfin, pour raconter le récit d'un autre... Le spectateur est trompé par un «jeu du je». Le journal devient littéraire, comme un roman inachevé. Entre digressions et enchâssements de récits fragmentaires, la parole est l’élément déclencheur de la fabulation.
Ce personnage de conteur est sans doute révélateur de l'influence de Jean Rouch sur l'œuvre du réalisateur. Éric Pauwels a reçu une formation en ethnologie dirigée par le maître de la ciné-transe. Il filme Bali, puis s’attache à la danse avant de se fixer sur un cinéma plus proche de l'essai, dans l’interstice entre documentaire et fiction. Pour Jean Rouch, comme pour les «filmeurs» et «cinéastes du je», la caméra doit être incarnée. Le spectateur devine ainsi la présence d'Éric Pauwels malgré son apparente absence du champ. Quelques reflets, une main qui saisit, des tête-à-tête amicaux entretiennent le mystère sur le narrateur de ce journal plus imaginaire qu'autobiographique. Impressionniste, Éric Pauwels dépeint la fugacité de l’existence et livre un rapport sensible au réel qui passe par une synesthésie des sens. Des images sensorielles, chatoyantes, stimulent notre regard : peaux nues, feuilles d'automne, cimetière ensoleillé... S'ajoutent la mélodie d'un piano, le son d'une cornemuse, des anecdotes et des légendes. Autant de moments capturés, de fragiles instants assemblés. Les petits riens et grands bonheurs d'un artiste : la peinture, les livres, les acteurs, les bestiaires... À travers une réflexion sur l’eucharistie et la disparition, le journal se découvre une vocation posthume, tandis qu’Éric Pauwels semble s’interroger sur la vocation spirituelle de l’art. Il frôle la réalité, ce qu'elle contient de magique, de mystérieux, voire de mystique.
Autoportrait, essai, fiction ? Le film de Pauwels est surtout un bijou poétique qui ne relève pas tant de l’intime que de l’universel besoin d’accéder à la beauté.