les yeux doc

Fuocoammare

Fuocoammare, par-delà Lampedusa

Samuele a 12 ans et vit sur une île au milieu de la mer. Il va à l'école, adore tirer et chasser avec sa fronde. Il aime les jeux terrestres, même si tout autour de lui parle de la mer et des hommes, des femmes, des enfants qui tentent de la traverser pour rejoindre son île. Car il n'est pas sur une île comme les autres. Cette île s'appelle Lampedusa et c'est une frontière hautement symbolique de l'Europe, traversée ces 20 dernières années par des milliers de migrants en quête de liberté.

Lampedusa, petite île italienne de la méditerranée, nichée entre la Sicile et la Tunisie, a vu passer beaucoup de caméras depuis le tragique naufrage d’un bateau de migrants au large de ses côtes en octobre 2013. Gianfranco Rosi y débarque muni d’une commande de l’Istituto Luce de Rome et d’un point de vue très différent de celui des médias : raconter la vie de l’île et de ses habitants parallèlement à celle des migrants, mêler ces deux mondes très proches et pourtant imperméables l’un à l’autre.Fidèle à sa conception du cinéma, Rosi apprivoise doucement les lieux et les gens, sans filmer dans un premier temps. Une fois lancé, le tournage peut durer jusqu’à un an et demi : dix-huit mois pour attendre la lumière juste, la situation juste, pour que les personnages soient à l’aise, pour qu’enfin il se passe quelque chose.

Les personnages symboliques de "Fuocoammare" (littéralement la mer en feu) sont un jeune garçon et un médecin. Samuele, douze ans, aime lancer des pierres sur les oiseaux avec sa fronde et se prépare vaille que vaille mais non sans difficultés à devenir marin, comme tous les hommes de sa famille. Le docteur Martino, l’unique médecin de l’île, soigne avec bienveillance les Lampedusiens et consacre aussi beaucoup de son temps à la visite des morts en mer, les noyés. Partager la vie quotidienne et les activités de Samuele entraîne le spectateur bien loin de la triste réalité de Lampedusa, dans l’univers de l’enfance et de l’innocence. C’est cette bouffée d’air frais, cet enfant inconscient de l’ampleur de la catastrophe qui permet au réalisateur de montrer, entre ciel et mer, des images terribles de la lutte inhumaine, du combat inégal contre les éléments que livrent les migrants à bord de leurs embarcations précaires. Au large, à quelques encablures de l’île de Samuele et tandis qu’il dort, résonnent les messages de détresse des migrants, leurs cris, leur peur, leur souffrance.

L'avis de la bibliothécaire

Aurélie Solle, Bibliothèque publique d'information, Paris
Membre de la commission nationale coordonnée par Images en bibliothèques

Il y a des sujets qui s’incarnent au plus près, des films qui abordent l'intime pour mieux dépeindre la globalité qu’ils illustrent. Le réalisateur suit Samuele, jeune garçon vivant sur l’île de Lampedusa avec son père marin. Ils font partie des 6000 habitants aujourd’hui confrontés à l’arrivée régulière de migrants. Le film se construit sur ce parallèle, d’un côté la vie de quelques habitants, de l’autre ces bateaux en détresse qui cherchent à accoster. Les plans très cinématographiques accompagnent ces destins croisés entre cette mer à la fois pourvoyeuse de richesses et tombeau à ciel ouvert pour des milliers d’anonymes qui n’ont pas survécu à l’exil. Les histoires individuelles de ces migrants ne sont pas dites, le film s’écarte volontairement des commentaires que les reportages génèrent. La beauté et la force des images viennent prendre le récit. La poésie, qui se dégage par moments, n’est pas là pour adoucir nos consciences mais là pour, peut-être, nous obliger, tout comme Samuele et son œil paresseux, à maintenir un regard sensible devant ce carnage silencieux.

+ d'infos

Pour aller plus loin, lire le dossier de presse du film qui contient un entretien avec le réalisateur Gianfranco Rosi. © Météore Films

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