Apolonia, Apolonia
Quand Léa Glob commence à filmer Apolonia Sokol, la réalisatrice ne s’imagine sans doute pas que le portrait de cette jeune peintre va se muer en une épopée intime et sinueuse présentant treize années de la vie d’une artiste-femme, de la bohème à l’ascension.
Portrait d’artiste, Apolonia, Apolonia ne documente pas uniquement la naissance d’un processus créatif et d’une œuvre mais donne à voir une constellation de destins autour de la figure d'Apolonia Sokol. Durant le tournage, la peintre franco-polonaise entretient des relations d’amitié très fortes avec la réalisatrice et l’activiste ukrainienne Oksana Shachko, l’une des fondatrices du mouvement Femen. Au fil des ans, ces jeunes femmes se soutiennent mutuellement dans leurs joies et leurs doutes, et ce, à différentes étapes de leurs vies de femmes : les frasques de la vingtaine, les déconvenues de l’éducation supérieure, le besoin de reconnaissance dans leur carrière, la décision de fonder une famille. Léa Glob élargit le champ du portrait à de multiples dimensions sociales et politiques : les théâtres qui ferment, les violences faites aux femmes, l’irrationalité du marché de l’art, la solitude des cœurs meurtris par l’exil.
Chaque scène gravite autour du soleil noir Apolonia, personnage fougeux à la voix rauque et la présence magnétique que les professeurs des Beaux-Arts admirent et rejettent. La réalisatrice prolonge avec sa caméra son obsession pour ce visage, ce corps, affranchi de toutes les règles. Léa Glob voit en sa muse un personnage marginal et hors-normes, une figure tutélaire de la vie d’artiste moderne. Elle est bousculée par sa liberté de ton et de mouvement, son mode de vie sans tabous, sa présence au monde. Il faut dire que la bourrasque Apolonia provoque extase et désir, mais inspire aussi angoisses et tourments. Pour faire face à l’obscurité, Apolonia se peint et peint les siens. Ses portraits figuratifs tendent un miroir aux amis, rencontres, amours pérennes ou de passage. Léa Glob rend ainsi hommage à la vocation mémorielle de la création, qui comme la photographie, le cinéma ou la peinture tentent de voler un instant à la mort. En tant que work in progress, œuvre en cours, le film dévoile les coutures de sa fabrication et célèbre l’art de l’inachevé. L’accouchement artistique ne se fait jamais sans douleurs, mais procure parfois vertige et ivresse.